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de là se tiroient les sources de son affaire d’Espagne, avec les raisonnements et les conséquences les plus sinistres, et bien d’autres choses encore que je ne pouvois prendre sur moi de lui déployer ; il m’en pressa, c’étoit ce que je voulois.

Après m’en être défendu assez longtemps pour exciter sa curiosité davantage, et pour le préparer à entendre d’affreuses énormités, je lui dis que, puisqu’il me le commandoit, et puisqu’il étoit encore en tel état, qu’il étoit besoin qu’il sût tout, et ce que personne n’osoit lui dire, il apprît donc qu’il s’étoit débité, et [avait été] trop reçu par les fripons et par ceux qui, trop éloignés, n’avoient aucune connoissance de lui, qu’il avoit un concert avec la cour de Vienne pour épouser la reine douairière d’Espagne, dont le grand amas d’argent et de pierreries lui serviroient à se frayer un chemin au trône d’Espagne sans trop fouler les alliés ; que, pour y parvenir, il répudieroit sa femme ; que, par l’autorité de l’empereur tout-puissant à Rome par la terreur qu’il avoit imprimée au pape, il feroit casser son mariage comme étant honteux, et fait par oppression violente, conséquemment déclarer ses enfants bâtards ; que, n’en pouvant point espérer de la reine douairière d’Espagne, il attendroit sa mort du bénéfice du temps et de l’âge pour épouser Mme d’Argenton à qui les génies avoient promis une couronne ; que, pour ne lui rien celer, il étoit doublement heureux d’avoir conservé Mme la duchesse d’Orléans à travers les infirmités et les dangers de la grossesse et de la couche dont elle venoit de se tirer, parce que, outre sa conservation, le recouvrement de sa santé faisoit honteusement taire les scélérats qui n’avoient pas craint de répandre qu’elle étoit empoisonnée ; qu’il n’étoit pas fils de Monsieur pour rien, et qu’il alloit épouser sa maîtresse.

À ce terrible récit, M. le duc d’Orléans fut saisi d’une horreur qui ne se peut décrire, et en même temps d’une