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à gagner Pâques sans montrer Mademoiselle, temps après lequel il n’y avoit plus de lieu public où les princesses fussent en rang. M. le duc d’Orléans, qui sentoit le poids de cette conduite par rapport à ce mariage, lui en parla un jour en ma présence plus fortement qu’à l’ordinaire, et peu à peu il s’échauffa, contre son ordinaire, jusqu’à lui toucher sa naissance d’une manière à l’affliger et à m’embarrasser beaucoup. Mon parti fut le silence et de saisir le premier moment que je pus de passer de ce cabinet dans celui de M. le duc d’Orléans. Il y vint peu après encore tout en colère, et moi qui y étois aussi j’osai le gronder tout de bon.

Je fus forcé d’aller le lendemain matin chez Mme la duchesse d’Orléans pour raisonner seul avec elle. Elle me fit souvenir des propos de la veille, je lui avouai tout ce que j’en avois dit à M. le duc d’Orléans immédiatement après. À peu de jours de là, M. de Beauvilliers, qui s’intéressoit fort aussi au mariage, m’arrêta dans la galerie pour me représenter combien il importoit à cette affaire que Mademoiselle parût ; qu’il étoit bien informé que cette opiniâtreté retomboit avec un grand venin sur Mme la duchesse d’Orléans ; qu’on se servoit de cela pour faire craindre au roi, et jusqu’à Mme la duchesse de Bourgogne, cette même opiniâtreté et sa hauteur ; qu’il savoit que l’impression en étoit commencée ; qu’il n’y avoit pas un moment à perdre pour l’en avertir, et qu’il me conjuroit de le faire à l’heure même sans le nommer. Je lui racontai à quel point la chose étoit entrée de travers dans la tête de Mme la duchesse d’Orléans, les tentatives inutiles même de Mme la duchesse de Bourgogne, et que, après ce que je lui en disois, je croyois tout inutile, et que je ne ferois que me rendre désagréable. Quoi que je pusse dire, il persista tellement, que j’obéis à l’heure même. Je trouvai Mme la duchesse d’Orléans seule. Elle me laissa tout dire, me remercia froidement, et avec un dépit étouffé par la politesse me dit que cela ne l’ébranleroit pas.