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longtemps la concurrence sans qu’on s’en aperçût trop ; mais les contrats de mariage des particuliers la décelèrent, comme ils avoient fait Mme la duchesse d’Orléans pour Mademoiselle. Néanmoins elle n’osa parler du rang de M. du Maine ; mais, laissant à part qu’elle fût ou non femme d’un prince du sang, elle s’avisa d’alléguer qu’étant sœur de M. le Duc, elle ne devoit pas céder à ses filles, sur lesquelles elle avoit un degré de parenté paternelle, et ne signa plus aucun contrat de mariage. La prétention étoit inouïe, et tout cela étoit d’autant plus mal cousu, que tant qu’elle avoit signé les contrats de mariage, elle les avoit toujours signés au-dessus de son mari, ce qui n’eût pas été s’il eût été prince du sang, comme M. le prince de Conti les signoit tous au-dessus de Mme sa femme, qui étoit fille aînée de M. le Prince.

Pour revenir à l’affaire de Mademoiselle, tout ce qui s’étoit passé avant la mort de M. le Duc s’étoit fait avant que j’eusse vu Mme la duchesse d’Orléans, et M. le duc d’Orléans en étoit si peu occupé qu’à peine m’en avoit-il dit quelque mot en passant, que j’avois encore moins ramassé. Ce matin-là donc de la mort de M. le Duc, étant seul avec M. [le duc] et Mme la duchesse d’Orléans, après m’avoir conté combien leur visite à Mme la Duchesse s’étoit bien passée, ils me dirent qu’ils étoient d’avis de se servir de cette occasion pour faire finir la dispute du rang de leurs filles, qui duroit depuis trop longtemps ; que dans cet esprit M. le duc d’Orléans avoit, dès ce même matin, parlé au roi et représenté qu’il étoit de son équité de prononcer, et de sa bonté de le faire, dans une occasion où toutes les inimitiés suspendues pouvoient demeurer éteintes si le bois qui entretenoit ce feu étoit ôté ; qu’il ne falloit rien espérer entre eux de solide tant que cette querelle les irriteroit ; que leur état ne comportoit aucun autre sujet de division ; que ce qu’il venoit de se passer entre eux feroit recevoir avec une soumission douce quelque jugement qui pût intervenir ; que le roi, paroissant touché