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avions prise ensemble, puisque nous avions molli, enfin, qu’il louoit et admiroit mon courage, de l’avoir exécutée. Il ajouta ensuite un raisonnement court, mais juste et fort pour le déterminer, et se tut après pour le laisser parler. Les propos de M. le duc d’Orléans ne furent rien de suivi, mais les élans d’un homme qui souffre une violence étrange, et qui s’en fait même pour la souffrir. Après l’avoir laissé quelque temps rêver, soupirer, se plaindre, je lui dis que je souffrois moi-même autant que lui, d’avoir à l’attaquer sur un chapitre aussi sensible ; que de cela même il devoit juger à quel point de nécessité à tous égards indispensables il se trouvoit réduit à se vaincre ; que j’étois parti pour ma campagne, très en peine de la situation en laquelle je le laissois, et à la cour et dans le monde, mais qu’à mon retour j’avois été navré de douleur d’apprendre quel progrès en mal ces quatre mois avoient produit ; qu’il n’étoit plus question de se flatter, qu’il falloit qu’il considérât son état devenu intolérable ; qu’il en falloit sortir par quelque voie que ce fût, et que toute voie lui étoit fermée, hors celle que je lui avois présentée ; qu’elle étoit dure, cruelle, mais unique ; qu’après tout il falloit bien qu’il se séparât un jour de celle qui le tenoit sous son joug ; qu’un engagement si long, si éclatant, l’avoit précipité dans un abîme sans fond ; que le jour de s’en arracher étoit venu, et qu’il ne tenoit qu’à lui de se faire de cet abîme un degré d’honneur, de faveur et de gloire, qui le porteroit en un instant plus haut qu’il n’avoit jamais été. Le maréchal répéta ces dernières paroles en les assurant et y applaudissant, et nous demeurâmes ainsi quelque temps, nous renvoyant la balle l’un à l’autre pour n’irriter pas en pressant trop fort, et donner lieu à digérer ce qui avoit été dit, et ce que nous continuions de pousser en nous parlant ainsi l’un à l’autre, mais aussi sans nous parler trop longtemps.

Après assez de silence, M. le duc d’Orléans nous demanda, mais en me regardant, comment nous l’entendions, et par