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roi et M. le duc d’Orléans sur l’affaire de ses filles avec les princesses du sang. Comme jusqu’ici je n’en ai dit qu’un mot fort léger et fort en passant, il en faut parler avec plus d’étendue, sans toutefois entrer dans le fond que pour le faire entendre, qui se trouvera au long parmi les Pièces, c’est-à-dire les mémoires donnés au roi de part et d’autre, et les lettres écrites à lui et à Mme de Maintenon, le jugement rendu par le roi, les considérations et réflexions, toutes choses qui feroient ici une trop longue digression.

Il faut savoir que Mme la duchesse d’Orléans étoit peut-être ce qu’il y avoit dans le monde de plus orgueilleux, et la personne aussi qui avoit le plus de vues et le plus de suite dans l’esprit et de ténacité dans ses volontés. Née ce qu’elle étoit, elle auroit dû être contente de se voir dans un rang aussi distingué au-dessus de celui de ses soeurs, mariées pourtant les premières de leur naissance à des princes du sang. Toutefois ce rang de petite-fille de France qui se bornoit à elle ne lui servoit que d’aiguillon à usurper, comme elle voyoit incessamment faire à ses frères et aux princes du sang sur tout le monde. La pensée que ses enfants ne se-roient que princes du sang lui étoit insupportable, et de leur désirer un rang séparé au-dessus de princes du sang à en former le projet il n’y eut point d’intervalle. Elle imagina donc un troisième état entre la couronne et les princes du sang sous le nom d’arrière-petits-fils de France, et se mit en tête de le former et de le faire passer.

M. le duc d’Orléans, à qui elle en parla, trouva d’abord cela ridicule. Il étoit alors comme enterré avec Mme d’Argenton, et comme cela ne regardoit ni sa maîtresse ni son genre de vie, sa négligence et sa facilité naturelle l’entraînèrent peu à peu à laisser tenter ce qu’il désapprouvoit, et à la fin de s’y laisser embarquer lui-même. L’enfance de M. le duc de Chartres ôtait toute occasion de montrer des prétentions à son égard, mais leur fille aînée devenoit d’âge et encore plus de figure à être ce qu’on appelle présentée et mise à la cour