Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 8.djvu/127

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l’impuissance dans un homme si fougueux et si démesuré, le désespoir de la crainte du roi, et de la préférence de M. le prince de Conti sur lui, dans le cœur, dans l’esprit, dans les manières même de son propre père, la fureur de l’amour et de l’applaudissement universel pour ce même prince, tandis qu’il n’éprouvoit que le plus grand éloignement du public, et qu’il se sentoit le fléau de son plus intime domestique, la rage du rang de M. le duc d’Orléans et de celui des bâtards, quelque profit qu’il en sût usurper, toutes ces furies le tourmentèrent sans relâche et le rendirent terrible comme ces animaux qui ne semblent nés que pour dévorer et pour faire la guerre au genre humain ; aussi les insultes et les sorties étoient ses délassements, dont son extrême orgueil s’étoit fait une habitude, et dans laquelle il se complaisoit. Mais s’il étoit redoutable, il étoit encore plus déchiré. Il se fit un dernier effort aux états de Bourgogne, qu’il tint après la mort de M. le Prince, d’y paroître plus accessible. Il y rendit justice avec une apparence de bonté ; il s’intéressa avec succès pour la province, et il y donna de bons ordres de police ; mais il y traita le parlement avec indignité sur des prérogatives que M. son père n’avoit jamais eues, et qu’il lui arracha après quantité d’affronts. Quiconque aura connu ce prince n’en trouvera pas ici le portrait chargé, et il n’y eut personne qui n’ait regardé sa mort comme le soulagement personnel de tout le monde.

J’appris la mort de M. le Duc à mon réveil à Versailles où j’étois, j’allai à la messe du roi où je sus ce qui s’étoit passé là-dessus, et la disposition de sa dépouille. J’allai ensuite chez M. le duc d’Orléans qui, après avoir expédié quelques compliments le plus promptement qu’il put, me mena dans son cabinet où Mme la duchesse étoit demeurée à l’attendre qu’il eût vidé sa chambre de ceux que les compliments y avoient amenés. Là, en tiers avec eux, ils me contèrent ce qui s’étoit passé entre eux et Mme la Duchesse dans la visite qu’ils lui avoient faite ce même matin, et ensuite entre le