Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 8.djvu/126

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fier, si audacieux, qu’on avoit peine à s’accoutumer à lui. Il avoit de l’esprit, de la lecture, des restes d’une excellente éducation, de la politesse et des grâces même quand il vouloit, mais il vouloit très-rarement ; il n’avoit ni l’avarice, ni l’injustice, ni la bassesse de ses pères, mais il en avoit toute la valeur, et [avait] montré de l’application et de l’intelligence à la guerre. Il en avoit aussi toute la malignité et toutes les adresses pour accroître son rang par des usurpations fines, et plus d’audace et d’emportement qu’eux encore à embler. Ses mœurs perverses lui parurent une vertu, et d’étranges vengeances qu’il exerça plus d’une fois, et dont un particulier se seroit bien mal trouvé, un apanage de sa grandeur. Sa férocité étoit extrême et se montroit en tout. C’étoit une meule toujours en l’air qui faisoit fuir devant elle, et dont ses amis n’étoient jamais en sûreté, tantôt par des insultes extrêmes, tantôt par des plaisanteries cruelles en face, et des chansons qu’il savoit faire sur-le-champ qui emportoient la pièce et qui ne s’effaçoient jamais ; aussi fut-il payé en même monnaie plus cruellement encore. D’amis il n’en eut point, mais des connoissances plus familières, la plupart étrangemeut choisies, et la plupart obscures comme il l’étoit lui-même autant que le pouvoit être un homme de ce rang. Ces prétendus amis le fuyoient, il couroit après eux pour éviter la solitude, et quand il en découvroit quelque repas, il y tomboit comme par la cheminée, et leur faisoit une sortie de s’être cachés de lui. J’en ai vu quelquefois, M. de Metz, M. de Castries et d’autres, désolés.

Ce naturel farouche le précipita dans un abus continuel de tout et dans l’applaudissement de cet abus qui le rendoit intraitable, et si ce terme pouvoit convenir à un prince du sang, dans cette sorte d’insolence qui a plus fait détester les tyrans que leur tyrannie même. Les embarras domestiques, les élans continuels de la plus furieuse jalousie, les vifs piquants d’en sentir sans cesse l’inutilité, un contraste sans relâche d’amour et de rage conjugale, le déchirement de