Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 8.djvu/106

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l’autre, ni de rien qui en pût approcher. Mon retour à Marly fut un des premiers fruits de l’audience que le roi m’avoit accordée. Au premier voyage que j’y fis, étant allé un soir causer avec le duc de Beauvilliers, et ne parlant de rien moins que de l’abbé de Polignac, tout d’un coup le duc se mit à me regarder fixement, à sourire et à me dire qu’il falloit qu’il me fît une confidence ; et que c’étoit une réparation qu’il me devoit à laquelle il ne pouvoit plus tenir. Je n’imaginai point ce qu’il me vouloit dire. « Vous souvenez-vous bien, me dit-il, de la conversation que nous eûmes ensemble, dans cette même chambre, il y a quatre ans, sur l’abbé de Polignac ? c’est que vous avez été prophète. Il faut que je vous avoue qu’il m’est arrivé de point en point ce que vous m’aviez prédit, et que l’abbé de Polignac, initié avec Mgr le duc de Bourgogne par les sciences, et le voyant souvent seul, m’avoit absolument éloigné de lui. » Je m’écriai, il me fit taire. « Écoutez tout, me dit-il. Je ne fus pas longtemps à m’en apercevoir. Je voulus me le rapprocher, je l’éloignai encore davantage. Plus de consultations, plus même de raisonnements ; jusqu’à ma présence lui pesoit. M. de Chevreuse se trouva de même. Je pris le parti de ne lui plus parler de rien, de répondre en deux mots quand il me parloit, de faire mon service assez pour que le public ne s’aperçût de rien, et je demeurai dans mes fonctions comme un étranger le plus mesuré, sans trouver rien à redire et sans parler que pour répondre. Cela, monsieur, a, s’il vous plaît, duré plus d’un an. Enfin, il s’est rapproché, il s’est réchauffé, il s’est trouvé embarrassé de ma réserve, il a tâté le pavé à diverses reprises. Je le voyois venir toujours respectueusement, sans la moindre ouverture, jusqu’à ce qu’un beau jour il me prît dans son cabinet et se déboutonna. Je reçus ce qu’il me dit comme je le devois, et lui dis en même temps ce que je crus devoir sur l’attachement et la confiance ; que je ne tenois à lui que par le cœur, et le désir de son bien et celui de l’État, et par nulle autre