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jamais pu compatir ensemble ; l’extrême supériorité de rang avoit blessé par trop les princes du sang. M. le prince de Conti s’étoit laissé entraîner par les deux autres. Lui et M. le Duc l’avoient traité un peu trop en petit garçon à sa première campagne, et à la seconde, avec trop peu de déférence et de ménagement. La jalousie d’esprit, de savoir, de valeur les écarta encore davantage. M. le duc d’Orléans, qui ne sut jamais se rassembler le monde, ne se put défaire du dépit de le voir bourdonner sans cesse autour du prince de Conti. Un amour domestique acheva de l’outrer. Conti charma [une personne] qui, sans être cruelle, ne fut jamais prise que pour lui. C’est ce qui le tenoit sur la Pologne, et cet amour ne finit qu’avec lui. Il dura même longtemps après dans l’objet qui l’avoit fait naître, et peut-être y duret-il encore après tant d’années, au fond d’un cœur qui n’a pas laissé de s’abandonner ailleurs. M. le Prince ne pouvoit s’empêcher d’aimer son gendre, qui lui rendoit de grands devoirs. Malgré de grandes raisons domestiques, son goût et son penchant l’entraînoient vers lui. Ce n’étoit pas sans nuages. L’estime venoit au secours du goût, et presque toujours ils triomphoient du dépit. Ce gendre étoit le cœur et toute la consolation de Mme la Princesse.

Il vivoit avec une considération infinie pour sa femme, même avec amitié, non sans être souvent importuné de ses humeurs, de ses caprices, de ses jalousies. Il glissoit sur tout cela et n’étoit guère avec elle. Pour son fils, tout jeune qu’il étoit, il ne pouvoit le souffrir, et le marquoit trop dans son domestique. Son discernement le lui présentoit par avance tel qu’il devoit paroître un jour. Il eût mieux aimé n’en avoir point, et le temps fit voir qu’il n’avoit pas tort, sinon pour continuer la branche. Sa fille, morte duchesse de Bourbon, étoit toute sa tendresse ; l’autre, il se contentoit de la bien traiter.

Pour M. le Duc, et lui, ils furent toujours le fléau l’un de l’autre et d’autant plus fléau réciproque que la parité de