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portrait, mais comme tous les hommes il avoit sa contrepartie.

Cet homme si aimable, si charmant, si délicieux, n’aimoit rien. Il avoit et vouloit des amis, comme on veut et comme on a des meubles. Encore qu’il se respectât, il étoit bas courtisan, il ménageoit tout et montroit trop combien il sentoit ses besoins en tout genre de choses et d’hommes ; avare, avide de biens, ardent, injuste. Le contraste de ses voyages de Pologne et de Neuchâtel ne lui fit pas d’honneur. Ses procès contre Mme de Nemours, et ses manières de les suivre, ne lui en firent pas davantage, bien moins encore sa basse complaisance pour la personne et le rang des bâtards qu’il ne pouvoit souffrir, et pour tous ceux dont il pouvoit avoir besoin, toutefois avec plus de réserve, sans comparaison, que M. le Prince.

Le roi étoit vraiment peiné de la considération qu’il ne pouvoit lui refuser, et qu’il étoit exact à n’outrepasser pas d’une ligne. Il ne lui avoit jamais pardonné son voyage de Hongrie. Les lettres interceptées qui lui avoient été écrites et qui avoient perdu les écrivains, quoique fils de favoris, avoient allumé une haine dans Mme de Maintenon, et une indignation dans le roi, que rien n’avoit pu effacer. Les vertus, les talents, les agréments, la grande réputation que ce prince s’étoit acquise, l’amour général qu’il s’étoit concilié, lui étoient tournés en crimes. Le contraste de M. du Maine excitoit un dépit journalier dans sa gouvernante et dans son tendre père, qui leur échappoit malgré eux. Enfin la pureté de son sang, le seul qui ne fût point mêlé avec la bâtardise, étoit un autre démérite qui se faisoit sentir à tous moments. Jusqu’à ses amis étoient odieux, et le sentoient.

Toutefois, malgré la crainte servile, les courtisans même aimoient à s’approcher de ce prince. On étoit flatté d’un accès familier auprès de lui ; le monde le plus important, le plus choisi, le couroit. Jusque dans le salon de Marly il