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aucune. Le chancelier de Pontchartrain ne pouvoit digérer cela de d’Avaux ; il mouroit d’envie de lui en parler, mais le roi le voyoit, en riait tout bas, et avoit la bonté de le laisser faire. Cela arrêtoit le chancelier et les conseillers d’État, qui en douceur le trouvoient très-mauvais. La pierre lui revint, et il mourut de la seconde taille, assez pauvre, sans avoir été marié. Il avoit vendu au président de Mesmes, son neveu, sa charge de l’ordre, avec permission de continuer de le porter. Avec tout cela il eut toujours des amis et de la considération.

Un mois après il fut suivi par sa cousine germaine, veuve du maréchal-duc de Vivonne. C’étoit une femme de beaucoup d’esprit, dont la singularité étoit digne de s’allier aux Mortemart. Elle étoit extrêmement riche, et ces messieurs-là, qui régulièrement se ruinoient de père en fils, trouvoient aussi à se remplumer par de riches mariages. Pour ces deux-ci ils n’eurent rien à se reprocher, et se ruinèrent à qui mieux mieux chacun de leur côté. C’étoient des farces, à ce que j’ai ouï dire aux contemporains, que de les voir ensemble ; mais ils n’y étoient pas souvent, et ne s’en devoient guère à faire peu de cas l’un de l’autre.

M. de Vivonne étoit brouillé avec le duc de Mortemart, son fils, que j’ai vu regretter comme un grand sujet et un fort honnête homme aux ducs de Chevreuse et de Beauvilliers, ses beaux-frères, et à qui le roi donna des millions avec la troisième fille de Colbert, dont Mme de Montespan fit le mariage. À l’extrémité du duc de Mortemart, M. de Seignelay fit tant qu’il lui amena M. de Vivonne. Il le trouva mourant, et sans en approcher se mit tranquillement à le considérer, le cul appuyé contre une table. Toute la famille étoit là désolée. M. de Vivonne, après un long silence, se prit tout d’un coup à dire : « Ce pauvre homme-là n’en reviendra pas, j’ai vu mourir tout comme cela son pauvre père. » On peut juger quel scandale cela fit (ce prétendu père étoit un écuyer de M. de Vivonne ). Il ne s’en embarrassa