Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 7.djvu/445

Cette page n’a pas encore été corrigée

nombre de gens qui la regardant, les uns comme leur gagne-pain, les autres comme une amie commode, deviendroient furieux contre moi, me susciteroient de nouvelles affaires par de nouvelles noirceurs, me brouilleroient avec M. le duc d’Orléans ; qu’en un mot, ce n’étoient point là mes affaires, ni de bonnes affaires ; que les miennes n’avoient pas besoin de supplément de tracasseries, de méchancetés, d’ennemis, et que je ferois beaucoup mieux de me tenir en repos, en évitant même avec sagesse un commerce trop étroit avec M. le duc d’Orléans, de même que ce qui pourroit aussi sentir l’abandon, dont ses courses continuelles me donneroient le moyen, si je voulois bien m’en aider. Ce conseil me parut fort sage et me tenta fort de le suivre.

Besons vint au rendez-vous chez moi le jour de Noël. D’entrée de discours, je le trouvai refroidi, et comme je l’étois aussi beaucoup, au lieu de l’échauffer et de le fortifier, je lui présentai les doutes et les difficultés, que je lui avouai m’avoir touché, par les réflexions que j’avois faites depuis que je ne l’avois vu. Il douta pareillement que M. le duc d’Orléans pût être déterminé à quitter Mme d’Argenton ; que, ne la quittant pas, il pût nous garder le secret avec elle ; et me parut aussi persuadé de la fureur de cette fille et de tout ce qui l’environnoit, qui ne seroit pas sans danger. Ainsi, sans nous départir de nos vues, mais sans nous y tenir entièrement attachés, nous convînmes de ne point parler expressément à M. le duc d’Orléans de quitter sa maîtresse ; mais que, s’il le donnoit beau dans la conversation à l’un de nous cieux, celui de nous deux qui trouveroit jour le saisiroit pour pousser l’ouverture mesurément, selon qu’il le jugeroit à propos, et auroit pouvoir de citer l’autre, même de découvrir au prince la résolution formée entre eux deux, pour en tirer ce qu’il seroit possible, mais avec une sage discrétion. Nous raisonnâmes longtemps sur l’état auquel il s’étoit laissé tomber, nous parlâmes des diableries et de l’affaire d’Espagne, dont le maréchal ne savoit pas plus que