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Les filles de Chamillart vinrent à [la Ferté], lui-même aussi au retour de ses courses pour aller voir des terres à acheter, voyage où, pour être hors de Paris, les avis et les propos menaçants de Mme de Maintenon l’avoient forcé, qui le vouloit tenir au loin, dans le dépit de la nombreuse et bonne compagnie qui ne l’abandonnoit point, et plus encore dans l’appréhension que lui donnoit le goût du roi pour lui. J’essayai de l’amuser par tout ce que la campagne me put fournir, et de le recevoir bien mieux que s’il eût été encore en place et en faveur. Après dix ou douze jours il s’en alla à Paris conclure le marché de Courcelles. Ses filles le suivirent bientôt après, excepté la duchesse de Lorges qui demeura avec nous et d’autre compagnie. Son père et sa famille ne tardèrent pas à s’en aller à Courcelles, et bientôt après j’y menai ma belle-soeur. Ce n’est pas qu’on ne fit tout ce que l’on put pour me dissuader Ce voyage, qui en effet étoit peu politique, mais je ne crus pas y devoir asservir l’amitié.

Je demeurai trois semaines ; j’y passois les matinées avec Chamillart, qui m’y parla à cœur ouvert de bien des choses, et qui m’y en montra de bien curieuses du temps de son ministère. Quand j’aurois ignoré jusqu’alors les variations si fréquentes de l’esprit, de l’estime, de l’amitié de Mme de Maintenon, sans autre cause que son naturel changeant, je l’aurois vu là à découvert, ainsi que les événements produits de cette cause qui ont si souvent gâté les meilleures affaires, et perdu tant d’autres par le peu de suite et la succession des différentes fantaisies. Le reste du jour s’y passoit en amusements et en promenades ; Chamillart toujours doux, serein, sans humeur, sans distraction, mais presque jamais seul, comme un homme qui se craint et qui cherche à remplir le vide où il se trouve ; la conversation bonne, mais réservée sur les nouvelles, et changeant alors la conversation adroitement ; le voisinage assidu chez lui et bien reçu, et sa famille cherchant à l’amuser et à se dissiper elle-même.