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Le roi n’aimoit point à avoir des compliments à faire, ni à se contraindre pour faire les honneurs de sa cour, quoiqu’il s’en acquittât avec une grâce et une majesté qui le relevoient encore. Peut-être craignoit-il encore plus les reproches tacites de la présence d’un prince qui avoit tout perdu par sa fidélité à ses engagements, et qui, n’ayant plus ni États ni subsistance, étoit encore assez mal payé, par les malheurs qui accabloient la France, de ce que le roi s’étoit obligé de lui donner. Néanmoins il pressa tant, et il assura si fort qu’il n’embarrasseroit en rien, à l’exemple de son frère, qu’il n’y eut pas moyen de le refuser.

Il vint donc sous un autre nom descendre chez Monasterol son envoyé, où tout ce qu’il avoit vu de gens de la cour à l’armée s’empressèrent de l’aller voir, et d’Antin eut ordre du roi de lui faire les honneurs avec une assiduité légère qui ne se préjudiciât point à l’entier incognito.

Il demeura quatre ou cinq jours à Paris, parmi le jeu, les spectacles, les curiosités de la ville, et les soupers avec des dames de compagnie facile et médiocre ; après quoi d’Antin le mena dîner chez Torcy, à Marly, où le roi étoit, et où le ministre des affaires étrangères lui donna un grand repas avec compagnie choisie, et le conduisit après dans le cabinet du roi. Torcy y demeura fort peu en tiers ; l’électeur resta seul avec le roi une heure et demie, ensuite le roi le mena dans le salon. Toutes les dames y étoient sous les armes ; il y avoit un grand lansquenet établi ; le roi le présenta, sous le nom qu’il avoit pris, à Monseigneur, à Mgr et à Mme la duchesse de Bourgogne, et aux dames : il ajouta que c’étoit un de ses amis qui l’étoit venu voir et à qui il vouloit montrer sa maison. Il se retira un moment après ; ces princes et les dames prirent soin d’entretenir l’électeur debout, qui parut gai et très poli, mais avec un air de hauteur et de liberté de maître du salon, parlant aux uns, s’informant des autres, qui ne seyoit pas mal à un prince malheureux. Une demi-heure après le roi le vint