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Le grand nombre de ces contradictions fit sentir à Boufflers une conduite si différente de l’ordinaire, qu’il y soupçonna du dessein. Cela l’aigrit, mais non pas jusqu’à rien montrer, ni le porter à changer en rien à l’égard de l’autre qu’il avoit comblé d’éloges et d’égards, et les choses continuèrent quelque temps à se passer ainsi en entreprises d’une part, et à supporter de l’autre avec impatience, mais sans en rien témoigner. Son exactitude, qui lui faisoit mettre dans la balance jusqu’aux minuties, surtout quand il s’agissoit de préférence et de récompenses, lui fit perdre beaucoup de temps à proposer au roi les sujets qui méritoient d’avoir part aux vacances des emplois. Il en avoit promis la liste plus d’une fois qu’il remettoit toujours. Enfin il l’envoya par un courrier quinze jours après l’action ; mais il fut bien étonné que le soir même du départ de ce courrier, il en reçût un de Voysin qui lui apporta la disposition générale et entière de tout ce qui vaquoit, faite et expédiée, sans avoir eu le moindre avis que le roi songeât à la faire avant d’avoir reçu celle qu’il devoit proposer et qui ne faisoit que partir. Ce trait fut le premier salaire du service qu’il venoit de rendre, tel que le roi avoit dit plus d’une fois, même en public, que c’étoit Dieu assurément qui lui avoit inspiré de l’envoyer à l’armée, où tout étoit perdu sans lui. Il eut encore le dégoût que personne dans l’armée n’ignorât ce qui lui arrivoit, et qu’il étoit peut-être le premier général d’armée sur qui un mépris aussi marqué fût tombé.

La vérité qu’il faut observer avec exactitude m’engage à l’aveu dés ténèbres où je suis demeuré, non sur l’occasion de la chute de Boufflers, qui ne s’en releva de sa vie, mais sur l’ordre des occasions. Il y en eut trois qui le perdirent, et, ce qui est étrange, par l’avantage qu’on saisit d’un aussi futile fondement que celui de ces lettres, dont le ridicule montroit à la vérité le peu d’esprit, mais le montroit par le côté le plus respectable de couvrir les fautes de Villars au lieu d’en profiter, de vouloir encourager contre l’abattement