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mouroient de faim avec leurs équipages ; les officiers supérieurs et les officiers généraux étoient sans paye et sans appointements, dès la campagne précédente ; le pain et la viande avoient manqué souvent des six et sept jours de suite ; le soldat et le cavalier, réduit aux herbes et aux racines, n’en pouvoit plus ; nulle espérance de mieux pour cette lin de campagne, nécessité par conséquent de laisser échapper les occasions de sauver Mons, et de ne penser plus qu’à la subsistance, la moins fâcheuse qu’on pourroit, jusqu’à la séparation des armées.

Aussitôt après la bataille, Boufflers dépêcha un courrier au roi pour lui en rendre compte. Sa lettre fut juste, nette, concise, modeste, mais pleine des louanges de Villars qui étoit au Quesnoy hors d’état de s’appliquer à rien. Le lendemain, Boufflers en écrivit une plus étendue, en laquelle tout ce qu’il avoit vu faire aux troupes et son attachement pour le roi l’égarèrent trop loin. Il songea tant à consoler le roi et à louer la nation, qu’on eût dit qu’il annonçoit une victoire et qu’il présageoit des conquêtes.

Nangis, duquel j’ai parlé plus d’une fois, étoit maréchal de camp dans cette armée ; Villars l’aimoit, et le voulut avoir à la gauche sous sa main ; il le choisit aussi pour aller rendre compte au roi du détail et du succès de la bataille. Le maréchal comptoit sur son amitié ; il avoit fort contribué à l’avancer ; il sentoit l’importance d’envoyer un homme affidé et qui avoit ses appuis à la cour. Nangis, avec moins d’esprit que le plus commun des hommes, mais rompu au monde et à la cour dès sa première jeunesse, eut assez de sens pour craindre de se trouver entre les deux maréchaux, malgré toute leur intelligence. Villars le pressa, il fut à Boufflers pour se faire décharger de la commission, mais il suffisoit à Boufflers que Nangis fût du choix de Villars pour vouloir qu’il se soumît à son désir ; il le chargea d’une lettre par laquelle il marqua toute la répugnance du courrier qui ne partoit que par obéissance.