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achemina suivi de peu d’officiers. Cadogan vint : c’étoit le confident de Marlborough, et, au désintéressement près, le Puységur de leur armée ; il prolongea les compliments et les verbiages, qui durèrent assez longtemps. Albergotti l’écouta avec sa glace accoutumée, lui dit que si le maréchal de Villars se fût rencontré là, il l’adroit volontiers entretenu sur la paix, et lui auroit témoigné qu’elle n’étoit pas si difficile à faire. Cela servit d’objet à la conversation demandée, et de prétexte à l’allonger. La troupe d’officiers grossit peu à peu autour d’eux. Le propos de paix courut en un moment par les retranchements, et dans peu d’autres par toute notre armée. Villars, à qui Albergotti n’avoit rien mandé, trouva fort mauvais cette espèce de conférence sans sa permission, s’avança vers où elle se tenoit et manda à Albergotti de la finir. Elle se termina de la sorte par des désirs respectifs de la paix, et des compliments qui ne signifioient rien. On se retira lentement. Les officiers ennemis s’opiniâtrèrent si longtemps à demeurer auprès des retranchements, sous prétexte d’embrassades et de compliments à ceux des nôtres dont ils s’étoient accostés sans les connoître, qu’il en fallut venir à diverses reprises aux menaces de tirer sur eux, et même à tirer quelques coups en l’air pour les faire retirer.

Pendant tous ces manèges, un très petit nombre de ce qu’ils avoient d’officiers plus expérimentés, et de leurs meilleurs officiers généraux à cheval, petit pour ne rien montrer et ne donner point de soupçon, et un peu plus grand nombre d’ingénieurs et de dessinateurs à pied, profitoit de ces ridicules colloques pour bien examiner tout, jeter sur le papier de principaux traits du terrain, prendre tout ce qu’ils purent de remarquable, désigner les endroits à placer leur canon, se bien mettre dans la tête le plan de leur disposition, et considérer avec justesse tout ce qui pourroit leur être avantageux ou nuisible, dont ils ne surent que trop bien profiter. On sut après cet artifice par les prisonniers.