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tout ce qu’il lui avoit dit la première fois sur la conduite qu’il se proposoit de garder religieusement avec Villars, prit ses derniers ordres, s’en alla à Paris et partit le lendemain lundi, 2 septembre, pour aller trouver le maréchal de Villars, c’est-à-dire le jour même que la citadelle de Tournai se rendit. On fut vingt-quatre heures à le savoir parti sans en deviner la cause. L’affolement de la paix étoit à un point qu’on crut qu’il étoit allé moins pour la négocier que pour la conclure.

La surprise ne fut pas moins grande à l’armée, où il fut annoncé par un courrier, dépêché exprès douze ou quinze heures avant son arrivée. La même contagion saisit aussi l’armée, elle n’imagina que la paix.

Villars le reçut avec un air de joie et de respect, le pourvut de chevaux et de domestiques, et lui communiqua d’abord tous ses projets. Boufflers fut avec peine tiré de sa voiture, tant la goutte s’étoit augmentée, qui néanmoins ne le tint pas longtemps dans sa chambre. Villars voulut recevoir le mot de lui, au moins qu’il le donnât. Après bien des compliments, ils le firent donner par le lieutenant général de jour, à qui de concert ils expliquèrent l’ordre à donner à l’armée, et depuis Villars donna toujours le mot et l’ordre, et Boufflers ne fit plus la façon de vouloir les recevoir de lui. Le concert et l’intelligence fut parfoit entre eux : l’un avec des manières de confiance et des égards toujours poussés au respect ; l’autre sans cesse soigneux d’admirer, de tout faire valoir, de tout déférer, et, s’il avoit quelque avis à ajouter, ou quelque observation à présenter, c’étoit toujours avec les ménagements d’un subalterne honoré de la confiance de son supérieur ; du reste appliqué à éviter et à refuser les hommages de l’armée, qui se portoient tous vers lui, à ne se mêler immédiatement de rien, à ne se charger de quoi que ce fût, et à n’être rien qu’auprès du maréchal de Villars, et encore tête à tête, et avec toutes les mesures qui viennent d’être rapportées, dont il ne se départit jamais.