Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 7.djvu/323

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j’y allai de meilleure heure, je le trouvai seul, qui, la tête baissée et ses deux bras dans les fentes de sa robe, s’y promenoit, et c’étoit sa façon lorsqu’il étoit fort occupé de quelque chose. Il me parla des bruits qui se renforçoient, puis, voulant venir doucement au fait, ajouta qu’on alloit jusqu’à parler d’un procès criminel, et me questionna, comme de pure curiosité et comme par le hasard de la conversation, sur les formes dont il me savoit assez instruit, parce que c’est celle de pairie. Je lui répondis ce que j’en savois, et lui en citai des exemples. Il se concentra encore davantage, fit quelques tours de cabinet, et moi avec lui, sans proférer tous deux une seule parole, lui regardant toujours à terre, et moi l’examinant de tous mes yeux ; puis tout à coup le chancelier s’arrêta, et se tournant à moi comme se réveillant en sursaut : « Mais vous, me dit-il, si cela arrivoit, vous êtes pair de France, ils seroient tous nécessairement ajournés et juges puisqu’il les faudroit convoquer tous, vous le seriez aussi, vous êtes ami de M. le duc d’Orléans, je le suppose coupable, comment feriez-vous pour vous tirer de là ? — Monsieur, lui dis-je avec un air d’assurance, ne vous y jouez pas, vous vous y casseriez le nez. — Mais, reprit-il encore une fois, je vous dis que je le suppose coupable et en jugement ; encore un coup, comment feriez-vous ? — Comment je ferois ? lui dis-je, je n’en serois pas embarrassé. J’y irais, car le serment des pairs y est exprès, et la convocation y nécessite. J’écouterois tranquillement en place tout ce qui seroit rapporté et opiné avant moi ; mon tour venu de parler, je dirois qu’avant d’entrer dans aucun examen des preuves, il est nécessaire d’établir et de traiter l’état de la question ; qu’il s’agit ici d’une conspiration véritable ou supposée de détrôner le roi d’Espagne, et d’usurper sa couronne ; que ce fait est un cas le plus grief de crime de lèse-majesté, mais qu’il regarde uniquement le roi et la couronne d’Espagne, en rien celle de France ; par conséquent, avant d’aller plus loin, je ne crois pas la cour suffisamment garnie de pairs,