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remercia, d’où je pris occasion de lui reprocher fortement pourquoi il ne parloit pas de même, puisqu’il trouvoit cette force nécessaire avec son beau-frère, avec lequel il étoit à toute portée, en toute confiance et intimité, et si entièrement au fait de tout, au lieu d’entretenir ses mesures étroites et sa faiblesse par la sienne propre.

Il s’excusa avec plus de gentillesse que de solidité, et convint pourtant de l’excès des mesures du duc de Beauvilliers, et du tort que cela faisoit aux affaires, par ne vouloir pas user de son esprit et de son crédit, demeurer dans des entraves continuelles de réserve, de retenue et d’inaction qui arrêtoient tout de leur part, et donnoient jeu aux autres dont ils savoient bien profiter, jusque-là, qu’il m’avoua que Mmes de Chevreuse et de Beauvilliers n’en étoient pas plus contentes que lui, et que tous trois y échouoient continuellement.

Nous approfondîmes fort la matière, et même avec un grand détail. Je n’en crus pas le temps perdu, parce qu’en lui inculquant les choses que je croyois nécessaires, c’étoit parler avec le même succès à eux tous et jusqu’à Mgr le duc de Bourgogne ; la suite me le persuada encore davantage ; ils devinrent plus éveillés sur tout ce qu’il se passoit, plus attentifs à m’en demander des nouvelles, à en raisonner avec moi, plus occupés à parer les coups et même à en porter, et M. de Beauvilliers encore plus au large avec moi et sur tous chapitres. Je m’aperçus bien par le maréchal de Boufflers même qu’ils n’étoient pas demeurés oisifs pour le rapprocher, en quoi ils auroient mieux et plus tôt réussi, s’ils l’eussent fait plus ouvertement, à quoi je suppléois autant qu’il m’étoit possible.

Ce que le monde nomme hasard, et qui, comme toutes choses n’est qu’une disposition de la Providence, qui toute ma vie m’avoit lié avec une singularité marquée à presque toutes les personnes opposées, en usait de même à mon égard sur ces deux cabales des seigneurs et des ministres.