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point les alliés de l’empereur assez épris de la grandeur de sa maison, pour ne s’épuiser que pour elle. J’étois d’ailleurs persuadé que pas un ne voulant la paix, de rage contre la personne du roi, et de jalousie contre la France, tous avoient saisi un prétexte plausible de l’écarter, durable tant qu’ils voudroient par sa nature ; et j’en concluois que le seul moyen de le leur ôter étoit de secourir si puissamment le roi d’Espagne et de seconder si fermement ses succès et le bon ordre déjà rétabli dans ses troupes et dans ses finances, et la grande volonté des peuples, que de préférence à tout on rendît ses frontières libres, pour ôter aux alliés tout espoir d’y revenir, et faire tomber cet éternel prétexte d’Espagne dont ils faisoient bouclier contre toutes propositions, puisque le roi d’Espagne, délivré de la sorte, ce qui avoit été aisé quatre ans durant, il n’eût plus été soutenable aux ennemis de rien mettre en avant là-dessus, et se seroient vus réduits, lorsqu’en effet ils auroient voulu la paix, à la traiter à des conditions qui, à la vérité, eussent fort diminué la puissance des deux couronnes, leur seul intérêt essentiel. On étoit encore à temps d’y revenir ; mais on n’aimoit pas à approfondir, et on aimoit à se flatter dans l’extrême besoin où les désastres avoient réduit le royaume, dont on a vu ici les causes expliquées en plus d’une occasion.

On voulut donc se fermer les veux à tout autre raisonnement qu’à celui d’avancer nous-mêmes le renversement d’un trône qui nous avoit coûté tant de sang et d’argent à maintenir, et par ce moyen nous dérober à la honte et à la nécessité de nous mettre du côté de nos ennemis communs pour y travailler conjointement avec eux à force ouverte, et cependant les adoucir en produisant le même effet qu’ils vouloient exiger de notre concours d’une manière plus dure ou plutôt barbare. La base de ce raisonnement étoit la présupposition qu’ils vouloient bien la paix, pourvu que la monarchie d’Espagne revînt à la maison d’Autriche, sans faire réflexion que tout montroit qu’ils ne vouloient point de paix,