Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 7.djvu/250

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seul dans son cabinet. Ils entrèrent avec un air de consternation qu’il est aisé d’imaginer. À cet abord, le malheureux ministre sentit incontinent qu’il y avoit quelque chose d’extraordinaire, et sans leur donner le temps de parler : « Qu’y a-t-il donc, messieurs ? leur dit-il d’un visage tranquille et serein. Si ce que vous avez à me dire ne regarde que moi, vous pouvez parler, il y a longtemps que je suis préparé à tout. » Cette fermeté si douce les toucha encore davantage. À peine purent-ils lui dire ce qui les amenoit. Chamillart l’entendit sans changer de visage, et du même air et du même ton dont il les avoit interrogés d’abord : « Le roi est le maître, répondit-il. J’ai tâché de le servir de mon mieux, je souhaite qu’un autre le fasse plus à son gré et plus heureusement. C’est beaucoup de pouvoir compter sur ses bontés, et d’en recevoir en ce moment tant de marques. » Puis leur demanda s’il ne lui étoit pas permis de lui écrire, et s’ils ne vouloient pas bien lui faire l’amitié de se charger de sa lettre, et sur ce qu’ils l’assurèrent qu’oui, et que cela ne leur étoit pas défendu, du même sang-froid il se mit incontinent à écrire une page et demie de respects et de remercîments qu’il leur lut tout de suite, comme tout de suite il l’avoit écrite en leur présence. Il venoit d’achever le mémoire que le roi lui avoit demandé le matin ; il le dit aux deux ducs, comme en s’en réjouissant, le leur donna pour le remettre au roi, puis cacheta sa lettre, y mit le dessus et la leur donna. Après quelques propos d’amitié, il leur parla admirablement sur son fils, et sur l’honneur qu’il avoit d’être leur neveu par sa femme. Après quoi les deux ducs se retirèrent, et il se prépara à partir.

Il écrivit à Mme de Maintenon, la fit souvenir de ses anciennes bontés, sans y rien mêler d’autre chose, et prit congé d’elle. Il écrivit un mot à La Feuillade, à Meudon où il étoit, pour lui apprendre sa disgrâce, manda verbalement à sa femme, qu’il attendoit de Paris ce jour-là, de le venir trouver à l’Étang où il alloit, sans lui dire pourquoi tria