Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 7.djvu/227

Cette page n’a pas encore été corrigée

finances, et témoigna pencher fort à recevoir la vaisselle de tout le monde.

Cet expédient avoit déjà été proposé et rejeté par Pontchartrain, lorsqu’il étoit contrôleur général, qui, devenu chancelier, n’y fut pas plus favorable. On objectoit que l’épuisement étoit depuis ces temps-là infiniment augmenté et les moyens également diminués. Ce spécieux ne le toucha point. Il opina fortement contre, représenta le peu de profit par rapport à l’objet, si considérable pour chaque particulier, et un profit court et peu utile, qui tôt perçu n’apporteroit pas un soulagement qui tînt lieu de quelque chose ; l’embarras et la douleur de chacun, et la peine dans l’exécution de ceux-là mêmes qui le feroient de meilleur cœur ; la honte de la chose en elle-même ; la bigarrure de la cour et de la première volée d’ailleurs en vaisselle de terre, et des particuliers de Paris et des provinces en vaisselle d’argent, si on en laissoit la liberté ; et si on ne la laissoit pas, le désespoir général, et la ressource des cachettes ; le décri des affaires qui, après cette ressource épuisée, et qui la seroit en un moment, et paroîtroit extrême et dernière, sembleroient n’en avoir plus aucune ; enfin le bruit que cela feroit chez les étrangers, l’audace, le mépris, les espérances que les ennemis en concevroient ; le souvenir de leurs railleries lorsqu’en la guerre de 1688 tant de précieux meubles d’argent massif qui faisoient l’ornement de la galerie et des grands et petits appartements de Versailles et l’étonnement des étrangers, furent envoyés à la Monnaie, jusqu’au trône d’argent ; du peu qui en revint, et de la perte inestimable de ces admirables façons plus chères que la matière [1], et que le luxe avoit introduites depuis sur les vaisselles, ce qui tourneroit nécessairement en pure perte pour chacun. Desmarets, quoique

  1. Voy. ce qu’en dit Mine de Sévigné. Elle écrivait le I1 décembre 1689 : « M. le Dauphin et Monsieur ont envoyé leurs meubles à la Monnaie. » Et le 21 décembre : « Que dites-vous de tous ces beaux meubles de la duchesse du Lude et de tant d’autres qui vont après ceux de Sa Majesté à l’hôtel des Monnoies ? .. Les appartements du roi ont jeté six millions dans le commerce. » D’après une note publiée dans les Oeuvres de Louis XIV (t. VI, p. 507), cette somme ne s’éleva qu’à deux millions cinq cent cinq mille six cent trente-sept livres. Ce qui confirme ce que dit Saint-Simon du peu, qui en revint.