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transir tout ce qu’il y avoit de gens sages de voir la dernière ressource de l’État commise en de telles mains. Ce n’étoit pas pourtant qu’il ne sentit le poids du fardeau ; mais il pensoit étourdir le monde, les ennemis même à qui ces propos reviendroient, rassurer le roi et Mme de Maintenon, et donner de grandes idées de lui. Il travailla avec le roi et plusieurs fois avec Monseigneur, se donna pour lui rendre un compte exact de toutes choses ; et ce prince ne fut pas insensible à l’air de se mêler de quelque chose d’important. Sur cette piste, Chamillart et Desmarets lui parlèrent aussi d’affaires, l’un sur les projets et la disposition des troupes, l’autre sur les fonds.

Harcourt, plus sage et plus mesuré, avoit refusé l’armée de Flandre ; il avoit modestement allégué qu’il n’étoit plus depuis longtemps dans l’habitude de la guerre, qu’il n’avoit jamais commandé que de petits corps, qu’il ne se sentoit pas assez fort pour une armée si nombreuse et pour des événements si importants. Il aima mieux se conserver la faculté de pouvoir de loin blâmer ce qui s’y feroit, commander une armée aussi à l’abri des événements qu’une armée le pouvoit être, et, déjà bien avec Monseigneur, saisir l’occasion de débaucher au duc de Beauvilliers son pupille, ou de faire au moins autel contre autel. Il suivit à l’égard du fils la trace que Villars marquoit à celui du père. Il travailla avec Mgr le duc de Bourgogne ; mais en rusé compagnon, il alla plus loin. Il proposa au jeune prince que Mme la duchesse de Bourgogne fût présente à leur travail, et les charma tous deux de la sorte. Il avoit réservé les choses principales pour les déployer devant elle ; finement il la consulta, admira tout ce qu’elle dit, le fit valoir à Mgr le duc de Bourgogne, allongea la séance, et y mit tout son esprit à étaler dextrement sa capacité pour leur en donner grande idée, et à persuader la princesse de son plus entier attachement. Elle en fut flattée ; d’Harcourt la ménageoit de longtemps ; il étoit trop à Mme de Maintenon,