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mauvais ; il regarda par le salon et en fit appeler un autre. Vendôme, cependant, arrivoit à eux et en eut le dégoût en face et en plein devant tout le monde. On peut juger à quel excès cet homme superbe fut piqué de l’affront. Il ne servoit plus, il ne commandoit plus, il n’étoit plus l’idole adorée, il se trouvoit dans la maison paternelle du prince qu’il avoit si cruellement offensé, et c’étoit à son épouse chérie et outrée à qui il avoit affaire ; il pirouetta, s’éloigna dès qu'il le put, et bientôt après gagna sa chambre, où il ragea à son loisir.

La jeune princesse fit cependant ses réflexions sur ce qu’il venoit d’arriver. Rassurée par la facilité qu’elle avoit trouvée à ce qu’elle venoit de faire, en peine aussi comme le roi prendroit la chose, elle se détermina, tout en jouant, à la pousser plus loin, ou pour y réussir, ou au moins pour se tirer d’embarras, car, avec toute son intime familiarité, elle s’embarrassoit aisément parce qu’elle étoit douce et timide. Sitôt donc que la partie de brelan fut finie, elle courut chez Mme de Maintenon avant que le roi y fût encore entré, et lui conta ce qu’il lui venoit d’arriver. Elle lui dit que, après tout ce qu’il s’étoit passé en Flandre, elle avoit une peine extrême à voir M. de Vendôme ; que cette affectation continuelle de Marly, où elle ne le pouvoit éviter, sans jamais aller à Versailles, où elle ne le rencontroit jamais, étoit une suite d’insultes à laquelle elle ne pouvoit s’accoutumer ; que, de plus, ses fautes étant assez reconnues pour lui avoir fait ôter le commandement des armées, il ne pouvoit y avoir d’autre raison de le souffrir à Marly que celle de l’amitié du roi pour lui, et qu’elle ne pouvoit supporter qu’avec la dernière douleur qu’elle parût égale entre son petit-fils et elle d’une part, et M. de Vendôme de l’autre. Cela fut vif, mais court, parce que le roi alloit arriver.

Mme de Maintenon, piquée contre Vendôme du fond des choses, et plus dangereusement peut-être d’avoir si longuement lutté contre lui en vain, parla ce soir là même au roi