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toute sa vie, quoique Monsieur, frère de Louis XIV, eût des filles, par la même raison que lui-même n’étoit devenu Monsieur tout court que parla mort de son oncle Gaston. Ce n’est pas qu’il ne le trouvât mauvais, quoique très lié d’amitié avec Mademoiselle dont il ménagea toute sa vie la succession, et qu’il ne fit appeler tant qu’il put l'ainée de ses filles l’une après l’autre Mademoiselle tout court. Mais jamais cela ne prévalut, et tout ce qu’il put obtenir de l’usage fut que peu à peu, pour distinguer la fille de Gaston de la sienne, ou se mit à dire Mademoiselle de la sienne, et la grande Mademoiselle de l’autre, dont la taille étoit en effet fort haute ; mais jamais Monsieur n’osa proposer qu’elle ajoutât un nom à celui de Mademoiselle ; et le roi, qui aimoit à la mortifier, et qui n’avoit jamais perdu le souvenir du portereau d’Orléans [1], ni du canon de la porte Saint-Antoine [2], ne songea jamais à donner cet avantage à Monsieur. À sa mort, en 1693, il n’y eut plus de difficultés ; et la dernière fille de Monsieur, la seule alors non mariée devint seule Mademoiselle tout court jusqu’à son mariage, en 1698, au duc de Lorraine.

Ce nom de Mademoiselle tout court passa ainsi dans l’esprit du monde pour être affecté à la première petite-fille de France, comme on s’étoit persuadé que Monsieur tout court étoit le nom distinctif du premier frère du roi. Tant que Louis XIV vécut, personne ne crut qu’il pût descendre plus bas, et M. le Prince et M. le Duc qui avoient l’un et l’autre des filles non mariées depuis le mariage de Mme la duchesse

  1. Mlle de Montpensier se présenta devant Orléans, apanage de son père, le 27 mars 1652. Les magistrats lui en ayant refusé l’entrée, elle s’introduisit par un portereau, ou petite porte, qui donnait sur le quai et qu’elle fit rompre, par des bateliers. Elle n’était accompagnée que de quelques dames ; mais bientôt elle obtint pour toute sa suite l’entrée dans la ville d’Orléans et en prit possession. Voy. les Mémoires de Mademoiselle à l’année 1652.
  2. On sait que Mademoiselle sauva l’armée du prince de Condé en faisant tirer les canons de la Bastille contre l’armée du roi commandée par le maréchal de Turenne. Voy. les mêmes Mémoires, à la date du 2 juillet 1652.