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Six semaines après la mort de M. le Prince, prévue et arrivée, il n’y eut pas lieu à tergiverser davantage. M. le Duc, arrivant à Versailles trois jours après, fit publier qu’ils recevroient le lendemain les visites, mais personne sans manteau ; ce fut afficher en vain ; il attendit tout le vendredi, ainsi que le prince de Conti et M. du Maine, chacun dans leur appartement, sans que personne s’y présentât, sinon deux ou trois hommes non titrés qui furent refusés, parce qu’ils étoient sans manteau. M. le Duc s’étoit trop commis pour reculer. Il fit par M. du Maine qui en partageoit l’honneur avec lui, que le roi envoyât sur la fin de cette journée M. le comte de Toulouse chez eux en grand manteau, après quoi il compta que cela irait tout de suite, mais il fallut encore un ordre qui fut négocié le soir, et que le roi donna le lendemain à M. de Beauvilliers pour les ducs, et à M. le Grand pour les princes, ajoutant que M. le comte de Toulouse y ayant été en manteau, il n’y avoit plus de difficulté. La réponse étoit bien aisée, qui est le réciproque, mais les fils de France et M. le duc d’Orléans, qui y perdoient cette distinction d’avec les princes du sang, n’osant souffler de peur des bâtards, ducs et princes n’eurent qu’à se taire.

Tous y allèrent donc le samedi après midi, mais tous comme de concert, hommes et femmes, d’une manière si indécente qu’elle tint fort de l’insulte. On affecta généralement des cravates de dentelles au lieu de rabats de deuil et des collerettes de même sous les mantes, et des rubans de couleur dans la tête ; les hommes, des bas de couleur blancs ou rouges, peu même de bruns, des perruques nouées et poudrées blanc, et les deux sexes des gants blancs, et les dames bordés de couleur : en un mot, une franche mascarade. La manière d’entrer et de sortir fut tout aussi ridicule, à peine faisoit-on la révérence en entrant, on ne disoit mot, on se regardoit les uns les autres en riant ; un moment après on sortoit ; ducs et princes se laissoient conduire jusqu’à la galerie par les