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désespéroit Finot, qui toutefois mouroit de rire en nous racontant ce qui se passoit, et les propos de l’autre monde qui se tenoient à ces repas. Il vécut encore longtemps après.

Sa maladie augmentant, Mme la Princesse se hasarda de lui demander s’il ne vouloit point penser à sa conscience et voir quelqu’un ; il se divertit assez longtemps à la rebuter. Il y avoit déjà quelques mois qu’il voyoit le P. de La Tour en cachette, le même général de l’Oratoire qui avoit assisté Mlle de Condé et M. le prince de Conti. Il avoit envoyé proposer à ce père de le venir voir en bonne fortune, la nuit et travesti. Le messager fut un sous-secrétaire, confident unique de ce secret. Le P. de La Tour, surpris au dernier point d’une proposition si sauvage, répondit que le respect qu’il devoit à M. le Prince l’engageroit à le voir avec toutes les précautions qu’il voudroit lui imposer, mais que, quelque justice qu’il eût droit d’attendre de sa maison, il ne pouvoit dans son état et dans sa place consentir à se travestir, ni à quitter le frère qui l’accompagnoit toujours, mais qu’avec son habit et ce frère tout lui seroit bon, pourvu encore qu’il rentrât à l’Oratoire avant qu’on y fût retiré. M. le Prince passa ces conditions. Quand il le vouloit voir, ce sous-secrétaire alloit à l’Oratoire, s’y mettoit dans un carrosse de remise avec le général et son compagnon, les menoit à une petite porte ronde d’une maison qui répondoit à l’hôtel de Condé, et par de longs et d’obscurs détours, souvent la lanterne à la main et une clef dans une autre, qui ouvroit et fermoit sur eux un grand nombre de portes, le conduisoit jusque dans la chambre de M. le Prince. Là, tête à tête avec lui, [le P. de La Tour] quelquefois le confessoit, le plus souvent l’entretenoit. Quand M. le Prince en avoit pris sa suffisance ou que l’heure pressoit, car il le retenoit souvent longtemps, le même homme rentroit dans la chambre, et le remenoit par les mêmes détours jusqu’au carrosse où le frère les attendoit, et de là à l’Oratoire de Saint-Honoré.