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application principale ; le fils y répondit par la sienne, sans que jamais il ait pu acquérir la moindre aptitude à aucune des parties de la guerre, sur laquelle M. son père ne lui cachoit rien, et lui expliquoit tout à la tête des armées. Il l’y eut toujours avec lui, voulut essayer de le mettre en chef, y demeurant néanmoins pour lui servir de conseil, quelquefois dans les places voisines, et à portée, avec la permission du roi, sous prétexte de ses infirmités. Cette manière de l’instruire ne lui réussit pas mieux que les autres. Il désespéra d’un fils doué pourtant de si grands talents, et il cessa enfin d’y travailler, avec toute la douleur qu’il est aisé d’imaginer. Il le connoissoit et le connut de plus en plus ; mais la sagesse contint le père, et le fils étoit en respect devant cet éclat de gloire, qui environnoit le grand Condé.

Les quinze ou vingt dernières années de la vie de celui dont on parle ici furent accusées de quelque chose de plus que d’emportement et de vivacité. On crut y remarquer des égarements, qui ne demeurèrent pas tous renfermés dans sa maison. Entrant un matin chez la maréchale de Noailles, dans son appartement de quartier, qui me l’a conté, comme on faisoit son lit et qu’il n’y avoit plus que la courte pointe à y mettre, il s’arrêta un moment à la porte, où s’écriant avec transport : « Ah ! le bon lit, le bon lit ! » prit sa course, sauta dessus, se roula dessus sept ou huit tours en tous les sens, puis descendit et fit excuse à la maréchale, et lui dit que son lit étoit si propre et si bien fait, qu’il n’y avoit pas moyen de s’en empêcher, et cela sans qu’il y eût jamais rien eu entre eux, et dans un âge où la maréchale, qui avoit toute sa vie été hors de soupçon, n’en pouvoit laisser naître aucun. Ses gens demeurèrent stupéfaits, et elle bien autant qu’eux. Elle en sortit adroitement par un grand éclat de rire et par plaisanter.

On disoit tout bas qu’il y avoit des temps où tantôt il se croyoit chien, tantôt quelque autre bête dont alors il imitoit