Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 7.djvu/142

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universel. Jamais, encore une valeur plus franche et plus naturelle, ni une plus grande envie de faire ; et quand il vouloit plaire, jamais tant de discernement, de grâces, de gentillesse, de politesse, de noblesse, tant d’art caché coulant comme de source. Personne aussi n’a jamais porté si loin l’invention, l’exécution, l’industrie, les agréments ni la magnificence des fêtes, dont il savoit surprendre et enchanter, et dans toutes les espèces imaginables.

Jamais aussi tant de talents inutiles, tant de génie sans usage, tant et si continuelle et, si vive imagination, uniquement propre à être son bourreau et le fléau des autres ; jamais tant d’épines et de danger dans le commerce, tant et de si sordide avarice, et de manéges bas et honteux, d’injustices, de rapines, de violences ; jamais encore tant de hauteur, de prétentions sourdes, nouvelles, adroitement conduites, de subtilités d’usages, d’artifices à les introduire imperceptiblement, puis de s’en avantager, d’entreprises hardies et inouïes, de conquêtes à force ouverte ; jamais en même temps une si vile bassesse, bassesse sans mesure aux plus petits besoins, ou possibilité d’en avoir ; de là cette cour rampante aux gens de robe et des finances, aux commis et aux valets principaux, cette attention servile aux ministres, ce raffinement abject de courtisan auprès du roi, de là encore ses hauts et bas continuels avec tout le reste. Fils dénaturé, cruel père, mari terrible, maître détestable, pernicieux voisin, sans amitié, sans amis, incapable d’en avoir, jaloux, soupçonneux, inquiet sans aucun relâche, plein de manèges et d’artifices à découvrir et à scruter tout, à quoi il étoit occupé sans cesse aidé d’une vivacité extrême et d’une pénétration surprenante, colère et d’un emportement à se porter aux derniers excès même sur des bagatelles, difficile en tout à l’excès, jamais d’accord avec lui-même, et tenant tout chez lui dans le tremblement ; à tout prendre, la fougue et l’avarice étoient ses maîtres qui le gourmandoient toujours. Avec cela un homme dont on avoit