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lui, fit fermer la nonciature et rompit tout commerce avec Rome, ce qui y tarit une grande source d’argent. Son ambassadeur sortit de Rome et des États du pape, et cependant les Impériaux ravageoient toujours les terres de l’Église, sans que le marquis de Prié daignât les arrêter. Il donna une comédie et un bal dans son palais, contre les plus expresses défenses du pape, qui, dans cette calamité, avoit interdit tous les spectacles et les plaisirs dans Rome. Il envoya faire des remontrances à Prié. sur la fête qu’il vouloit donner. Il n’en eut d’autre réponse, sinon qu’il s’y étoit engagé aux dames, à qui il ne pouvoit manquer de parole. Le rare est qu’après ce mépris si publie, les neveux du pape y allèrent, et qu’il eut la faiblesse de le souffrir.

Tessé, voyant venir cet orage qu’il ne pouvoit détourner, même par ces belles lettres qui se trouveront dans les Pièces, crut ne pouvoir pas mieux prendre son temps pour se faire une opération au derrière, pour vérifier la raison qui, politiquement, l’avoit tenu depuis très-longtemps chez lui pour ne se point commettre, et pour y demeurer tant qu’il le jugeroit à propos sans être obligé de voir qui il ne voudroit pas, ni de sortir de chez lui. Le pape, éperdu, avoit fait tout ce qu’il avoir pu pour retenir l’ambassadeur d’Espagne, et n’oublioit rien pour empêcher Tessé de partir. Toutefois la partie n’étant plus tenable, et ne faisant plus qu’un personnage inutile et honteux, il partit et s’en revint fort lentement.

En débarquant en Provence, il apprit la mort de sa femme dans sa province dont elle n’étoit jamais sortie, et qui s’appeloit Auber, fille unique du baron d’Aunay, près de Caen, et dont il paraissoit qu’il ne tenoit pas grand compte. À son retour il ne laissa pas d’avoir une longue audience du roi, quoique sur un voyage dont le succès avoit été fort désagréable et les affaires étoient vieillies. Telle fut celui de cette ligue d’Italie si bien pensée, mais qui échoua avant d’être formée, comme je l’ai raconté.