Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 6.djvu/93

Cette page n’a pas encore été corrigée

héroïque d’attachement et d’amitié, qui levoit pour toujours tout scrupule. Puis continuant : « Savez-vous, me dit-il, qu’il me montre toutes ses dépêches, que je lui dicte les siennes, qu’il n’écrit que ce que je veux ? voilà un intrinsèque qu’on ignore, et que je veux bien vous confier. Horace est mon ami intime, il a toute confiance en moi ; mais je dis, aveugle. C’est un très habile homme, il me rend compte de tout ; il n’est qu’un avec Robert, qui est un des plus habiles hommes de l’Europe, et qui gouverne tout en Angleterre. Nous nous concertons, nous faisons tout ensemble et nous laissons dire. » Je demeurai stupéfoit, moins encore de la chose que de l’air de complaisance et de repos, et de conjouissance en lui-même avec laquelle il me le disoit. Je ne laissai pas d’insister, et de lui demander qui l’assuroit qu’Horace ne reçût et n’écrivit pas doubles dépêches, et ne trompât ainsi bien aisément ? Autre sourire d’applaudissement en soi : « Je le connois bien, me répondit-il, c’est un des plus honnêtes hommes, des plus francs et des plus incapables de tromper qu’il y ait peut-être au monde. » Et de là à battre la campagne en exemples et en faits dont Horace l’amusoit. Le dénouement de la pièce fut qu’après s’être servis de la France contre l’Espagne, et contre elle-même, pour leur commerce et pour leur grandeur, et l’avoir amusée jusqu’au moment de la déclaration de cette courte guerre de 1733, les Walpole, ses confidents, ses chers amis, qui n’agissoient que par ses ordres et ses mouvements, se moquèrent de lui en plein parlement, l’y traitèrent avec cruauté ; et de point en point manifestèrent toute la duperie, et l’enchaînement de lourdises où, à leur profit et à notre grand dommage, ils avoient fait tomber six ans durant notre premier ministre, qui en conçut une rage difficile à exprimer ; mais elle ne le corrigea pas.

Il se jeta à M. de Lorraine, l’ennemi né de la France, et par lui à l’empereur. Ce prince, esclave de sa grandeur et de sa gravité, ne se prêtoit pas autant que le vouloit M. de