Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 6.djvu/89

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a été bien reconnue après, mais elle s’est trouvée irréparable.

Le peu d’effort que les ennemis avoient fait en Flandre et en Allemagne avoit une cause qui commença d’être aperçue vers la mi-juillet. Le prince Eugène, qui avoit eu la gloire de nous chasser totalement d’Italie, y étoit demeuré, et entra dans le comté de Nice. Sailly, lieutenant général, qui y commandoit quelques troupes, se retira en deçà du Var, qui sépare la Provence de ce comté, et qui se trouva lors débordé ; et Parat, maréchal de camp, qui avoit commandé l’hiver à Nice, se retira à Antibes. Le duc de Savoie entra dans Nice n’ayant encore que six ou sept mille hommes de ses troupes avec lui ; et la flotte ennemie, de quarante vaisseaux de guerre, commença à y débarquer de l’artillerie. Alors le duc de Marlborough ne cacha plus la cause de son inaction. Il s’expliqua de l’entreprise comme immanquable, et devant entraîner les plus grandes suites, et qu’il attendroit pour agir offensivement que l’entreprise sur Toulon eût réussi. Ce projet n’étoit pas conçu depuis peu par M. de Savoie, il l’avoit formé lors de la guerre précédente qui fut terminée à Ryswick. Il dit aux principaux de la flotte qui l’allèrent saluer à Nice qu’il étoit bien aise de les voir, mais qu’il y avoit quatorze ans qu’il les avoit attendus au même lieu. Il arriva le 18 à Fréjus.

L’évêque, qui nous gouverne aujourd’hui si fort en plein et sans voile sous le nom de cardinal Fleury, le reçut dans sa maison épiscopale, comme il ne pouvoit s’en empêcher. Il en fut comblé d’honneurs et de caresses, et [le duc de Savoie] l’enivra si parfaitement par ses civilités, que le pauvre homme, également fait pour tromper et pour être trompé, prit ses habits pontificaux, présenta l’eau bénite et l’encens à la porte de sa cathédrale à M. de Savoie, et y entonna le Te Deum pour l’occupation de Fréjus. Il y jouit quelques jours des caresses moqueuses de la reconnoissance de ce prince pour une action tellement contraire à son devoir et à