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gros yeux qui ne voyoient goutte, et un tic qui lui faisoit toujours aller une épaule, avec des cheveux blancs qui lui traînoient partout, avoit l’air du monde le plus imposant. Aussi était-elle altière au dernier point, et avoit infiniment d’esprit avec une langue éloquente et animée, à qui elle ne refusoit rien. Elle avoit la moitié de l’hôtel de Soissons, et Mme de Carignan l’autre, avec qui elle avoit souvent des démêlés, quoique sœur de sa mère et princesse du sang. Elle joignoit à la haine maternelle de la branche de Condé celle qu’inspirent souvent les secondes femmes aux enfants du premier lit. Elle ne pardonnoit point à Mme de Longueville les mauvais traitements qu’elle prétendoit en avoir reçus, et moins encore aux deux princes de Condé de lui avoir emblé la tutelle et le bien de son frère, et au prince de Conti d’en avoir gagné contre elle la succession et le testament fait en sa faveur. Ses propos les plus forts, les plus salés et souvent très plaisants, ne tarissoient point sur ces chapitres, où elle ne ménageoit point du tout la qualité de princes du sang. Elle n’aimoit pas mieux ses héritiers naturels, les Gondi et les Matignon. Elle vivoit pourtant honnêtement avec la duchesse douairière de Lesdiguières et avec le maréchal et la maréchale de Villeroy, mais pour les Matignon, elle n’en voulut pas ouïr parler.

Les deux sœurs de son père avoient épousé, l’aînée le fils aîné du maréchal-duc de Retz, la cadette le fils puîné du maréchal de Matignon. Cette aînée perdit son mari avant son beau-père, et est devenue célèbre sous le nom de marquise de Belle-Ile par quantité de bonnes œuvres, s’être faite feuillantine, avoir obstinément refusé l’abbaye de Fontevrault, enfin pour avoir conçu et enfanté le nouvel ordre du Calvaire, dans lequel elle mourut à Poitiers en 1628. Le duc de Retz, son fils unique, ne laissa que deux filles. L’aînée épousa Pierre Gondi, cousin germain de son père, qui, en faveur de ce mariage, eut de nouvelles lettres de duc et pair de Retz et le rang de leur date. Il étoit fils du célèbre père de l’Oratoire