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parties de général, un talent singulier pour les marches, les détails de troupes, de fourrages, de subsistances, pour tout ce qui fait le meilleur intendant d’armée, pour la discipline, sans pédanterie et allant droit au but et au fait, une soif d’être instruit de tout, qui lui donnoit une peine infinie et lui coûtoit cher en espions. Ces qualités le rendoient extrêmement commode à un général d’armée ; le maréchal de Villeroy et M. de Vendôme s’en sont très utilement servis. Il avoit toujours un dessinateur ou deux qui prenoient tant qu’ils pouvoient les plans du pays, des marches, des camps, des fourrages et de ce qu’ils pouvoient de l’armée des ennemis. Avec tant de vues, de soins, d’applications différentes à la cour et à la guerre, toujours à soi, toujours la tête libre et fraîche, despotique sur son corps et sur son esprit, d’une société charmante, sans tracasserie, sans embarras, avec de la gaieté et un agrément tout particulier, affable aux officiers, aimable aux troupes, à qui il étoit prodigue avec art et avec goût, naturellement éloquent et parlant à chacun sa propre langue, aisé en tout, aplanissant tout, fécond en expédients, et capable à fond de toutes sortes d’affaires, c’étoit un homme certainement très rare. Cette raison m’a fait étendre sur lui, et il est bon de faire connoître d’avance ce courtisan jusqu’ici si délaissé, qui va devenir un personnage pour le reste de sa vie. Fait et demeuré comme il étoit, il n’est pas surprenant qu’il y ait eu autant d’envie de s’accrocher aux Noailles. Le surprenant est que sa mère y ait non seulement consenti, mais qu’elle l’ait désiré plus que lui encore, avec sa retraite et sa dévotion véritable, pour se rapprocher Mme de Maintenon qu’elle avoit tant de raisons de haïr et de se la croire irréconciliable. Elle lui écrivit plusieurs lettres flatteuses à l’occasion de ce mariage ; elle n’en recul que des réponses sèches, et néanmoins fit tout pour le conclure, dans le dessein de lui plaire, tant sont fortes les chaînes du monde, auquel trop souvent on croit de bonne foi avoir entièrement renoncé, et que cependant, malgré