Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 6.djvu/55

Cette page n’a pas encore été corrigée

le mot, mit toute la tranchée dans la confidence, et un peu après s’être mis à table, voilà une vive alarme, une grande sortie des ennemis et tout l’appareil d’un combat chaud et imminent. Quand M. le Duc s’en fut assez diverti, il regarda d’Antin : « Remettons-nous à table, lui dit-il ; la sortie n’étoit que pour toi. » D’Antin s’y remit sans s’en émouvoir, et il n’y parut pas.

Une autre fois, M. le prince de Conti, qui ne l’aimoit pas à cause de M. du Maine et de M. de Vendôme, visitoit des postes à je ne sais plus quel siége, et trouva d’Antin d’ans un assez avancé. Le voilà à faire ses grands rires qui lui cria : « Comment, d’Antin, te voilà ici, et tu n’es pas encore mort ? » Cela fut avalé avec tranquillité et sans changer de conduite avec ces deux princes qu’il voyoit très familièrement. La Feuillade, fort envieux et fort avantageux, lui fit une incartade aussi gratuite que ces deux-là. Il étoit à Meudon, à deux pas de Monseigneur, dans la même pièce. Je ne sais sur quoi on vint à parler de grenadiers, ni ce que dit d’Antin, qui forma une dispute fort légère, et plutôt matière de conversation. Tout d’un coup : « C’est bien à vous, lui dit La Feuillade en élevant le ton, à parler de grenadiers, et où en auriez-vous vu ? » D’Antin voulut répondre. « Et moi, interrompit La Feuillade, j’en ai vu souvent en des endroits dont vous n’auriez osé approcher de bien loin. » D’Antin se tut, et la compagnie resta stupéfaite. Monseigneur, qui l’entendit, n’en fit pas semblant, et dit après que, s’il avoit témoigné l’avoir ouï, il n’avoit plus de parti à prendre que celui de faire jeter La Feuillade par les fenêtres, pour un si grand manque de respect en sa présence. Cela passa doux comme lait, et il n’en fut autre chose. En un mot, il étoit devenu honteux d’insulter d’Antin.

Il faut convenir que c’étoit grand dommage qu’il eût un défaut si infamant, sans lequel on eût peut-être difficilement trouvé un homme plus propre que lui à commander les armées. Il avoit les vues vastes, justes, exactes, de grandes