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disgrâce de son amie, Mme de Beauvois [1], l’état où il étoit à la cour, il crut faire voir un tour d’habile politique de paroître ne penser à rien et ne rien craindre ; mais l’heure étoit venue qu’il devoit être puni de son impudence. La reine ayant dans l’esprit de le maltraiter, aussitôt qu’elle l’aperçut ne manqua pas de l’attaquer et de lui dire avec un ton méprisant ces mêmes paroles : Vraiment, monsieur de Jarzé, vous êtes bien ridicule. On m’a dit que vous faites l’amoureux. Voyez un peu le joli galant ! Vous me faites pitié : il faudroit vous envoyer aux Petites-Maisons. Mais il est vrai qu’il ne faut pas s’étonner de votre folie, car vous tenez de race. Voulant citer en cela le maréchal de Lavardin, qui autrefois avoit été passionnément amoureux de la reine Marie de Médicis, et dont le roi son mari, Henri le Grand, se moquoit lui-même avec elle. Le pauvre Jarzé fut accablé de ce coup

  1. Mme de Beauvois étoit première femme de chambre d’Anne d’Autriche. Mme de Motteville en parle ainsi dans ses Mémoires (collect. Petitot, ibidem, p. 400, 401) : « Mme de Beauvois, première femme de chambre de la reine, étoit amie de Jarzé, qui n’étant ni belle ni jeune, et voulant avoir des amis, avoit flatté Jarzé de cette pensée qu’elle le rendroit agréable à la reine, et lui feroit de bons offices. » L’époque de l’exil de Mme de Beauvois est marquée avec exactitude dans le Journal inédit de Dubuisson-Aubenay, gentilhomme attaché au secrétaire d’État Duplessis-Guénégaud* : Le mercredi 24 décembre (1649), les meubles de l’appartement de la dame de Beauvois, première femme de chambre de la reine, ont été enlevés du Palais-Royal et menés en la maison qu’elle a à Gentilly et où elle s’en alla dès le jour précédent avec toute sa famille, la reine lui ayant fait dire par Largentier, surnommé Legras, secrétaire de la reine, qu’elle eût à se retirer, sur le midi, comme Sa Majesté entroit en son carrosse pour aller ouïr messe aux Filles Sainte-Marie près la Bastille. Elle avoit encore le matin été coiffée par ladite dame de Beauvois. « Le même journal fixe la date de la scène faite à Jarzé par la reine et la raconte ainsi : « Le vendredi (26 décembre 1649), la reine retournant de la galerie et chapelle du roi, où elle avoit oui la messe, le marquis de Jarzé, peigné, poudré et vêtu à l’avantage, se trouve à son passage sur la terrasse, qui fait clôture à la cour intérieure et regarde sur le jardin du Palais-Royal, où il marche devant la reine, se tourne vers elle à certaines distances et pauses en l’attendant, et entré dans le grand cabinet se met en baie pour être vu de plus près d’elle à son passage, puis entre avec Sa Majesté dans la chambre du lit et plus outre dans la chambre du miroir, où la reine se coiffe ordinairement et se présente devant Sa Majesté qui lui fait signe de s’approcher d’elle et marche deux pas, puis s’arrêtant lui dit tout haut : C’est une plaisante chose que l’on dise par la ville que vous, Jarzé, soyez pion galant. Vous en êtes bien aise, je m’assure, et vous ave ; cette folie-là qui vous vient de votre grand-père. Mais vous ne prenez pas garde que cela vous fait passer pour impertinent et ridicule.  » L’auteur, qui n’avoit pas assisté à la scène, altère un peu les paroles de la reine reproduites bien plus exactement par Mme de Motteville. Bibl. Maz., ms. in-fol., H, 1765 et non 1719, comme on a imprimé par erreur, t. V, p. 438 de cette édition des Mémoires de Saint-Simon.