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carnets encore inédits de Mazarin [1] c’est le rôle du cardinal dans cette affaire.

Condé, que ses victoires sur la maison d’Autriche et les services récents rendus à la cour pendant la Fronde avoient enorgueilli jusqu’à l’infatuation, traita Mazarin avec une hauteur blessante, et se rendit coupable de l’insulte la plus sensible à l’égard d’une femme et d’une reine, en prétendant imposer un amant à Anne d’Autriche (1649). Il choisit pour ce rôle Jarzé, un de ces jeunes gens que leur fatuité et leur présomption faisoient désigner sous le nom de petits-maîtres. Un pareil outrage porta le désespoir dans l’âme d’Anne d’Autriche. « Je sais, dit Mazarin dans ses carnets [2], que la reine ne dort plus, qu’elle soupire la nuit et pleure, et que tout procède du mépris où elle croit être, et que tant s’en faut qu’elle attende changement que, au contraire, elle est persuadée que cela empirera. »

Mazarin fut, dans cette situation délicate, le conseiller et le guide d’Anne d’Autriche, et en rapprochant des carnets le récit de Mme de Motteville, on voit avec quelle docilité la reine suivoit les instructions du cardinal. Mazarin a consigné dans ses carnets les conseils qu’il donna à la reine [3] : « La reine pourroit dire devant beaucoup de princesses et autres personnes : J’aurai grand tort à présent de me plaindre plus de rien, ayant un galant si bien fait que Jarzé. Je crains seulement de le perdre un de ces jours, que je ne pourrai empêcher qu’on ne le mène aux Petites-Maisons, et je n’aurai pas l’avantage que l’on dise qu’il est devenu fou pour amour de moi, parce qu’on sait qu’il y a longtemps qu’il est affligé de cette maladie. Après quoi, la première fois que Jarzé entrera dans le lieu que la reine sera, s’il a l’effronterie après ce que dessus de s’y présenter, elle lui pourroit dire en riant : Eh bien ! monsieur de Jarzé ; me trouvez-vous à votre gré ? Je ne pensai jamais avoir une si bonne fortune. Il faut que cela vous vienne de race ; car le bonhomme Lavardin [4] ’’étoit aussi galant de la reine mère [5] avec la même joie de toute la cour qu’elle témoigne à présent de votre amour. »

Mme de Motteville assista à la scène qu’avoit préparée Mazarin, et son récit prouve que la mémoire d’Anne d’Autriche fut fidèle et qu’elle prononça à peu de chose près les paroles que Mazarin lui avoit dictées : « Comme Jarzé, dit Mme de Motteville [6], savoit à peu près la

  1. M3. B. I, f. Baluze. Ces carnets sont autographes, et on y trouve, surtout pour la Fronde, les renseignements les plus complets et les plus authentiques.
  2. Carnets, n° XIII, p. 79.
  3. Ibidem, p. 95.
  4. Il s’agit du maréchal de Lavardin, né en 1551, mort en 1614 ; il étoit aïeul maternel de Jarzé.
  5. Marie de Médicis.
  6. Mémoires, collect. Petitot, 2° série, t. xxxviii, p. 405, 406.