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« La cour grossit à cette heure si extraordinairement qu’il ne se peut rien voir de plus en un lieu si éloigné de Paris.

« M. le duc de Guise, MM. d’Harcourt, M. de Langres, MM. d’Albret et de Roquelaure, comtes de Béthune, d’Estrées, de Brancas et cinquante autres particuliers de qualité sont arrivés ici depuis peu, à trois ou quatre jours les uns des autres, et de la façon qu’ils parlent je crois que M. le commandeur de Jars se trouvera seul dans Paris de tous les gens qui vont au Louvre, tous ceux qui y sont demeurés se disposant à venir ici.

« M. le duc de Guise s’en va voir M. le duc de Lorraine à la conférence et ne demeurera ici que très peu de jours.

« Le roi va à cette heure à la comédie presque tous les soirs ; il en fit représenter une le jour de la naissance de l’infante ; il prit un habit magnifique, fit faire grand feu aux gardes françaises et suisses et à ses mousquetaires ; tout le canon de la ville fut tiré. Il y eut grand bal où il dansa. L’on fit media hoche, et il dit à la reine n’y ayant que moi et deux personnes que c’étoit le moins qu’il pouvoit faire, puisqu’il étoit le principal acteur de la comédie, pour s’expliquer dans les mêmes termes du roi d’Espagne.

« M. de Roquelaure perdit hier dix mille écus contre M. de Cauvisson au piquet. Celui-ci n’en gagna que deux mille, Mais M. de Brancas, qui parioit pour lui, en gagna six mille [1]. M. de Roquelaure n’a joué que deux fois contre M. de Cauvisson, et il a perdu quarante mille francs qu’il a pariés. Je vous écris avec cette certitude, parce que je les lui ai vu perdre. Sa chère n’en est pas moins grande, car il la fait très bonne.

« M. de Gourville est passé ici qui a dit qu’il alloit quérir M. le surintendant [2].

« M. de Langlade y est arrivé sans doute pour servir son quartier.

« M. de Vardes en est parti, il y a quatre jours, pour se rendre auprès de Votre Éminence et s’y tenir. Rien n’est égal à la manière dont il a parlé à tout le monde de ses intérêts, disant qu’il n’auroit jamais de volonté que celle de Votre Éminence, et qu’il y étoit si résigné qu’il prendroit le mal même pour bien, quand il lui viendroit de la main et du choix de Votre Éminence. Il a édifié tout le monde par sa tristesse et par sa modestie.

« M. de Bouillon est arrivé de la campagne, où il étoit allé pour chasser quinze jours.

« Il arriva ici avant-hier des comédiens françois qui étoient en Hollande ; ils ont passé à la Rochelle ; on les appelle les comédiens de

  1. Il faudroit huit mille pour faire le chiffre indiqué par Bartet.
  2. Nicolas Fouquet.