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propre bouche de M. de Candale, qui hier, devant tout ce qu’il y a ici de gens de qualité, fit venir dans une maison un des assassins, et lui ayant fait conter l’assassinat, il dit : C’est moi qui l’ai ordonné ; je le dis afin que tout le monde le sache, et si Bartet s’en prend à personne qu’à moi, je le ferai encore assassiner et tuer dans les rues, et s’il fait encore aucune poursuite, je le ferai assassiner et tuer.

« Votre Éminence, Monseigneur, qui sait si bien la science des rois, sait bien qu’ils ne parlent ni ne font comme M. de Candale ; et les tyrans même, qui font un usage tyrannique de l’autorité qui est légitime aux rois, n’en font point un de la qualité de M. de Candale. Je me mets donc, Monseigneur, s’il vous plaît, sous la protection du roi, par celle de Votre Éminence, et je la conjure, par tous les endroits qui lui peuvent donner quelque sensible pour la disgrâce où je me trouve, de laisser faire la justice au parlement de Paris, et que, pour avoir l’honneur d’être au roi et au roi de Pologne, et au service de Votre Éminence par l’action et le mouvement continuels de ma vie, je ne me trouve pas dans une condition moins favorable que si j’étois un homme d’une condition privée.

« Si, avec cela, Monseigneur, Votre Éminence avoit la bonté de faire considérer au roi comme le respect de sa personne est blessé en moi par l’honneur que j’ai d’être son domestique, et le respect de son autorité violé par l’assassinat commis en moi, et ensuite faire témoigner à M. de Candale qu’il faut que le cours de la justice du royaume soit libre pour moi, j’aurai l’obligation à Votre Éminence de me laisser un tribunal qui, jugeant mon honneur suivant la loi, me tirera de l’opprobre du monde, et me rétablira dans le même honneur dans lequel j’avois toujours vécu jusqu’à cette heure.

« C’est là, Monseigneur, la très humble supplication que je fais à Votre Éminence, avec une autre qui ne m’est guère moins nécessaire, qui est de boucher son esprit à l’industrie et à la malice de mes ennemis, qui, dans ce grand mouvement de ma mauvaise fortune, ne manqueront pas de faire une autre sorte d’assassinat, moins déshonorant pour moi, mais plus dangereux, pour varier les bonnes volontés de Votre Éminence en mon endroit.

« Ce sont ces bonnes volontés-là, Monseigneur, par lesquelles je puis parvenir à la protection de la justice que je suis sur le point de demander au parlement de Paris contre mes assassins, je dis les gens qui m’ont assassiné ; et comme c’est l’endroit le plus capital de ma vie, et un passage de fortune qui doit être presque regardé comme unique, parce qu’il est presque toujours le dernier de celle d’un honnête homme, je la supplie aussi de considérer ce que je devrai à sa protection, et si, vous étant obligé du recouvrement de tout mon honneur, je ne dois pas me préparer toute ma vie à l’employer pour le service de Votre Éminence.