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et à qui les avis pleuvoient depuis quelque temps qu’on vouloit empoisonner la reine, eut toutes les peines du monde à y consentir. Il permit à la fin que la comtesse de Soissons vînt quelquefois les après-dînées chez la reine par un escalier dérobé, et elle la voyoit seule et avec le roi. Les visites redoublèrent et toujours avec répugnance de la part du roi. Il avoit demandé en grâce à la reine de ne jamais goûter en rien qu’il n’en eût bu ou mangé le premier, parce qu’il savoit bien qu’on ne le vouloit pas empoisonner. Il faisoit chaud le lait est rare à Madrid, la reine en désira, et la comtesse, qui avoit peu à peu usurpé les moments de tête à tête avec elle, lui en vanta d’excellent qu’elle promit de lui apporter à la glace. On prétend qu’il fut préparé chez le comte de Mansfeld. La comtesse de Soissons l’apporta à la reine qui l’avala, et qui mourut peu de temps après, comme Mme sa mère. La comtesse de Soissons n’en attendoit pas l’issue et avoit donné ordre à sa fuite. Elle ne s’amusa guère au palais, après avoir vu avaler ce lait à la reine ; elle revint chez elle où ses paquets étoient faits et s’enfuit en Allemagne, n’osant pas plus demeurer en Flandre qu’en Espagne. Dès que la reine se trouva mal, on sut ce qu’elle avoit pris et de quelle main ; le roi d’Espagne envoya chez la comtesse de Soissons qui ne se trouva plus ; il fit courir après de tous les côtés, mais elle avoit si bien pris ses mesures qu’elle échappa. Elle vécut obscurément quelques années en Allemagne, tantôt dans un lieu, tantôt dans un autre. Mansfeld fut rappelé à Vienne, où il eut à son retour le premier emploi de cette cour, qui est la présidence du conseil de guerre. À la fin la comtesse de Soissons retourna en Flandre, puis à Bruxelles, où je crus avoir dit que, tandis que Philippe V en fut maître, lés maréchaux de Boufflers, de Villeroy, et tous les François distingués, eurent défense de la voir. Il se peut dire qu’elle y passa le reste de sa vie et qu’elle y mourut en opprobre. Mme la duchesse de Bourgogne en prit le deuil pour six jours, que le roi ne