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une en même temps à la reine mère, qui fut la princesse de Conti, son autre nièce, et comme tout va toujours en se multipliant et en s’affaiblissant, Madame, parce qu’elle étoit fille d’Angleterre, en eut une aussi, qui fut Mme de Monaco. C’est l’unique exemple pour les filles de France.

Rien n’est pareil à la splendeur de la comtesse de Soissons, de chez qui le roi ne bougeoit avant et après son mariage, et qui étoit la maîtresse de la cour, des fêtes, et des grâces, jusqu’à ce que la crainte d’en partager l’empire avec les maîtresses la jeta dans une folie qui la fit chasser avec Vardes et le comte de Guiche, dont l’histoire est trop connue et trop ancienne pour la rapporter ici. Elle fit sa paix et obtint son retour par la démission de sa charge, qui fut donnée à Mme de Montespan, dont le mari ne voulut recevoir aucune chose du roi, qui, ne sachant comment la faire asseoir, ne pouvant la faire duchesse, supposa que la charge de surintendante emportoit le tabouret. La comtesse de Soissons, de retour, se trouva dans un état, bien différent de celui d’où elle étoit tombée. Elle se trouva si mêlée dans l’affaire de la Voisin, brûlée en Grève pour ses poisons et ses maléfices, qu’elle s’enfuit en Flandre. Son mari étoit mort fort brusquement à l’armée, il y avoit longtemps, et dès lors on en avoit mal parlé, mais fort bas dans la faveur où elle était. De Flandre elle passa en Espagne, où les princes étrangers n’ont ni rang ni distinction. Elle ne put donc paroître en aucun lieu publiquement, et moins au palais qu’ailleurs.

La reine, fille de Monsieur, n’avoit point d’enfants, et avoit tellement gagné l’estime et le cœur du roi son mari, que la cour de Vienne craignit tout de son crédit pour détacher l’Espagne de la grande alliance faite contre la France. Le comte de Mansfeld étoit ambassadeur de l’empereur à Madrid, avec qui la comtesse de Soissons lia un commerce intime dès en arrivant. La reine, qui ne respiroit que France, eut une grande passion de voir la comtesse de Soissons. Le roi d’Espagne, qui avoit fort ouï parler d’elle,