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Le pape désiroit fort, sur l’exemple de La Trémoille, faire passer Polignac aux deux couronnes ensemble, pour compensation du prince de Lorraine. Mais la dextérité de l’abbé, ni le crédit de ses amis, ne purent faire goûter cet expédient au roi ; et l’empereur, enflé des prospérités de sa grande alliance, déclara nettement que, si le pape faisoit un sujet pour les deux couronnes avec le prince de Lorraine, il prétendoit avoir en même temps un autre chapeau au nom de l’archiduc, comme roi d’Espagne. Cette prétention étoit absurde. L’archiduc n’étoit point roi d’Espagne, à Rome moins que partout ailleurs, où Philippe V étoit seul reconnu, avoit reçu un légat à Naples, tenoit actuellement un ambassadeur à Rome, qui étoit le duc d’Uzeda, et avoit un nonce à Madrid. L’empereur d’ailleurs ne pouvoit contester au roi un droit égal au sien, et il n’avoit pas le moindre prétexte de plainte que l’abbé de Polignac passât pour la France avec le prince de Lorraine pour lui, c’étoit le roi d’Espagne seul qui en auroit été lésé. À cette difficulté, il s’en joignit une autre dans notre cour.

Mme de Soubise, qui, pour être depuis longtemps mourante et alors fort près de sa fin, n’en étoit pas moins attentive à l’élévation des siens et à l’établissement de ses enfants, fut bientôt informée de ce qui se passoit là-dessus. Elle sentit combien une promotion de traverse éloigneroit celle des couronnes. Elle écrivit donc au roi, et lui demanda d’insister à ce que le prince de Lorraine passât comme couronne pour l’empereur. Le roi n’eut garde de lui refuser cette complaisance, mais elle ne fit qu’augmenter la difficulté. L’empereur, qui sentoit ses forces et qui vouloit engager à une reconnoissance indirecte de son frère, comme roi d’Espagne, déclara que dans une promotion, même pour les couronnes, il prétendoit un chapeau sur le compte particulier de l’archiduc. Cette fermeté éloigna encore plus la promotion des couronnes, sans débarrasser le pape de la prétention de l’empereur pour le prince de Lorraine. Là-