Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 6.djvu/427

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Louville m’en a conté une aventure que je ne certifie pas, mais qu’il m’a assurée, et, quoique sujet quelquefois à se frapper et à s’engouer, il étoit homme fort vrai. L’histoire est telle : M. de Noailles étoit amoureux d’une fille de la musique du roi, fort jolie ; et cet amour qui fit du bruit, j’en ai fort ouï parler dans le temps. Il étoit en quartier, et alors il logeoit dans l’appartement de quartier sous le cabinet du roi. M. de Noailles et la fille convinrent de leurs faits ; elle vint passer la nuit chez lui. Malheureusement le cardinal de Noailles arriva trop matin, et à son ordinaire alla descendre chez son frère. Les valets lui dirent qu’il n’étoit pas éveillé ; cela ne l’arrêta point, il se fait ouvrir et entre. On peut juger de ce que put devenir le couple fortuné. La fille se fourre la tête dans le lit, et le chevet par-dessus. Le maréchal s’écrie dolemment qu’il a une migraine à mourir, qu’il ne peut ni parler, ni entendre parler, qu’il ne sait s’il pourra se lever pour aller chez le roi, et qu’il veut se reposer en attendant. Le bon cardinal prend cela pour argent comptant, plaint son frère, lui conseille de se donner la matinée, et sort pour le laisser en repos. Voilà les amants bien soulagés. La fille, qui étouffoit de l’issue de l’aventure, et de ce qu’elle s’étoit mise sus, n’eut rien de plus pressé que de sortir de sa cache, de prendre ses cottes et de s’enfuir. Le maréchal vouloit tuer le valet confident. Il continua de faire le malade, mais il fallut pourtant aller chez le roi, où il fit accroire à. son frère qu’il faisoit un grand effort. On prit grand soin d’étouffer l’aventure ; mais tout se sait à la fin. Il faisoit sa cour jusqu’aux basses maîtresses de Monseigneur. Ce prince aima quelque peu de temps la Raisin, qui étoit fort belle et comédienne excellente. Elle se trouva un peu incommodée à Fontainebleau. M. de Noailles y envoyoit sans cesse savoir de ses nouvelles, lui faisoit toutes sortes de présents, et l’alloit voir avec les plus grands respects du monde. Avec tout cela, ce n’étoit ni un méchant homme ni un malhonnête homme ; et quoique très avare de