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La Trémoille, en attendant qu’il fût reçu. Il avoit été nommé à la Pentecôte.

Bientôt après, le maréchal de Noailles donna à toute la cour le spectacle d’une mort qui put lui fournir de grandes réflexions. C’étoit un homme d’une grosseur prodigieuse et entassé, qui, précisément comme un cheval, mourut aussi de gras fondu. Aussi était-il grand mangeur, et faisoit chez lui grande et délicate chère, mais pour sa famille et pour un très petit nombre d’autres gens. Né dans l’intérieur de la cour d’un père et d’une mère en charge, et qui tenoient intimement au cardinal Mazarin et à la reine mère, il en avoit pris tout l’esprit et conformé en tout le sien, tout pesant, grossier et moins que médiocre qu’il était. Jamais homme plus renfermé, plus particulier, plus mystérieux, ni plus profondément occupé de la cour ; point d’homme si bas pour tous les gens en place ; point d’homme si haut, dès qu’il le pouvoit, et avec cela fort brutal. On l’a vu sans cesse, et en public, duc et capitaine des gardes, porter comme un page la queue de Mme de Montespan, tandis que celle de la reine ne l’étoit, et ne l’est encore, que par l’exempt des gardes en service auprès d’elle ; et ce même homme, commandant en Languedoc, avoit ses gardes le long de son drap de pied à la messe, et ses aumôniers tournés vers son prie-Dieu, avec la même pompe et toutes les mêmes cérémonies de la messe du roi, et tout le reste de même. Le roi, qui étoit l’idole à qui il offroit tout son encens, étant devenu dévot, le jeta dans la dévotion la plus affichée. Il communioit tous les huit jours, et quelquefois plus souvent. Les grandes messes, vêpres, le salut, il n’y manquoit que pour des temps de cour ou des moments de fortune. Avec tout cela, il étoit fort accusé de n’avoir pas renoncé à la grisette, et d’en faire des parties secrètes avec Rouillé du Coudray, son ami intime, et grand et très public débauché, à la fortune duquel il contribua fort, et son fils encore plus dans la régence de M. le duc d’Orléans.