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des troupes qu’avoit La Mothe. On ne laissa pas d’être surpris et de raisonner sur la prière que le duc de Marlborough envoya faire presque aussitôt après à Mgr le duc de Bourgogne de lui vouloir accorder un passeport pour ses équipages, et qui lui fut envoyé, mais uniquement pour les siens. On jugea qu’il vouloit mettre à couvert beaucoup d’argent qu’il avoit tiré des sauvegardes ; mais ne pouvoit-on pas soupçonner, après l’arrivée du convoi, ou qu’il se moquoit, ou qu’il avoit envie de découvrir quelque chose par un envoi qui parut avec raison fort déplacé ?

M. de Vendôme, qui avoit quarante-trois bataillons et soixante-trois escadrons, mit sa droite au Moordick et sa gauche au canal qui va de Bruges à Plassendal, pour empêcher les convois d’Ostende et de l’Écluse. Marlborough s’alla camper à Rousselaer, faisant mine de l’attaquer pour faire passer les convois, contre lesquels les inondations furent fort grossies. Les ennemis y jetèrent des barques pour y décharger leurs chariots, qui amenèrent au prince Eugène tout ce qu’elles purent.

Parmi tous ces mouvements si vifs on songeoit toujours à des entreprises ; on avoit des intelligences dans Menin, on en crut la surprise facile, on la résolut. La commission étoit agréable, son succès promettoit un avancement certain à celui qui en seroit chargé. Albergotti étoit ami intime de M. de Vendôme pour lui avoir sacrifié dans les derniers temps M. de Luxembourg à qui il devoit tout ; il l’étoit de Mlle Choin, par conséquent fort bien avec Monseigneur et par là même considéré de Mgr le duc de Bourgogne. Il fit donner cette commission à son neveu, qui étoit brigadier et qui s’appeloit Albergotti comme lui. Le luxe et la bonne chère avoient corrompu nos armées, surtout en Flandre ; des haltes froides n’y étoient plus que pour des drilles [1] ; on

  1. Vieux mot qui d’abord signifiait haillons, et qui fut employé par extension pour désigner les misérables et surtout les mauvais soldats.