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bizarres d’endroits de la forêt. « Mon Dieu, Monseigneur, s’écria-t-elle, la belle mémoire que vous avez là ! C’est bien dommage qu’elle ne soit chargée que de pareilles choses ! » Il ne tint qu’à lui de sentir le reproche, mais il ne songea pas qu’il en pût profiter.

Malgré cette insensibilité, la cabale de Vendôme, dont il étoit environné et possédé, réussit auprès de lui dans toutes ses vues. Il loua fort un soir à son coucher M. le duc de Berry devant tout le monde ; il le fit encore d’autres fois, et jamais il ne fit mention en bien de Mgr le duc de Bourgogne. Il dit même une autre fois à son coucher qu’il ne le comprenoit point, qu’il s’étoit trouvé plusieurs fois à la tête des armées, mais qu’il n’y avoit jamais contredit MM. de Duras, de Lorges et de Luxembourg, avec qui il étoit, parce qu’il les croyoit plus capables que lui. Il oublioit apparemment Heilbronn, où il ne voulut jamais attaquer le prince Louis de Bade, quoi que pût faire et lui dire M. le maréchal de Lorges, lui en remontrer l’importance et la facilité, qui l’a eu sur le cœur toute sa vie. La crédulité de Monseigneur pour ceux qui l’obsédoient alloit à un point incroyable à qui n’en a pas eu l’expérience, comme j’aurai occasion dans la suite de le montrer. Il avala donc contre son propre fils tout le poison qui lui fut présenté ; il laissa voir qu’il en étoit plein, et il n’en revint de sa vie. Son goût n’étoit pas pour lui ni pour ceux qui avoient eu soin de son éducation. Une piété trop exacte le contraignoit et l’importunoit ; son cœur étoit pour le roi d’Espagne, et ne s’est jamais démenti pour lui. Il aimoit aussi M. le duc de Berry, qui l’égayoit par son goût pour la liberté et les plaisirs. La cabale en sut bien profiter. Elle avoit un trop puissant intérêt à écarter foncièrement Mgr le duc de Bourgogne de l’estime, de l’affection, de la confiance de Monseigneur, qu’ils vouloient gouverner, quand il seroit le maître, et n’avoir point à lutter contre le fils et l’héritier de la maison, pour ne pas entretenir soigneusement l’éloignement qu’ils avoient formé.