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demeurer quelques jours ; mais par le défaut de subsistance, il fallut passer l’Escaut pour en trouver. Elle le passa donc le 17, et campa la droite à Erinnes, et la gauche au Saussoy près de Tournai. On fit en même temps quelques détachements à portée de rejoindre au moment qu’on le voudroit.

Chamillart arriva de l’armée à Versailles pendant le souper du roi, le mardi 18 septembre. Le roi travailla avec lui au sortir de table jusqu’à son coucher, et ne fut qu’un moment avec les princesses. Chamillart rendit compte de tout ce qu’il avoit vu, et de la pleine espérance dans laquelle il avoit laissé M. de Vendôme de couper tous les convois des ennemis, et de leur ôter toute subsistance, c’est-à-dire de les réduire enfin à abandonner leur siège.

Le roi avoit besoin de ces intervalles de consolation et d’espérances. Quelque maître qu’il fût de ses paroles et de son visage, il sentoit profondément l’impuissance où il tomboit de jour en jour de résister à ses ennemis. Ce que j’en ai raconté sur Samuel Bernard, à qui il fit presque les honneurs de ses jardins à Marly, d’intelligence avec Desmarets, pour en tirer un secours qu’il refusoit, et qui ne se pouvoit trouver ailleurs, en est une grande preuve. On remarqua beaucoup à Fontainebleau que la ville de Paris y étant venue le haranguer à l’occasion du serment de Bignon nouveau prévôt des marchands, comme Lille venoit d’être investie, il répondit non seulement avec bonté, mais qu’il se servit du terme a de reconnoissance pour sa bonne ville, n et qu’en le prononçant son visage s’altéra, deux choses qui de tout son règne ne lui étoient point échappées. D’un autre côté, il avoit quelquefois des distractions de fermeté qui édifioient moins qu’elles ne surprenoient. Lors de la jonction du duc de Berwick avec la grande armée, il remarqua un soir, chez Mme de Maintenon, beaucoup de tristesse et d’inquiétude en Mme la duchesse de Bourgogne. Il s’en étonna et lui en demanda la causa. Il chercha à la rassurer par le repos et la satisfaction qu’il se sentoit de la jonction de ses armées.