Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 6.djvu/364

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de son esprit et de sa capacité, s’ouvrit à lui des lettres de son époux, lui en montra même et lui consulta ses plus importantes réponses.

Je savois tout cela par Mme de Nogaret, qui, par ordre de Mme la duchesse de Bourgogne, me disoit souvent les avis de d’Antin, et me demandoit ce que j’en pensois. Il poussa sa pointe et ses louanges mêlées avec ses conseils jusqu’à hasarder de marcher, mais légèrement, sur les traces de l’abbé de Polignac. Cette double conduite ne la toucha point, mais n’étoit pas aussi pour l’offenser. Il s’introduisit chez elle aux heures de privante, se rendit assidu à son jeu, et il essaya par cette voie de pénétrer jusque chez Mme de Maintenon, à quoi néanmoins il réussit peu par l’extrême clôture de ce sanctuaire. Assuré des bâtards et des valets, sûr aussi que Mme la duchesse de Bourgogne et Mme de Maintenon par elle ne lui seroient point contraires, il ne pensa à rien moins qu’à la place de Chamillart, à portée, comme il étoit, d’entrer avec le roi dans tout ce qui regardoit la guerre de plus inquiétant et de plus délicat, et peu à peu de s’y mettre de plus en plus et culbuter un ministre malheureux en succès, déjà dépouillé des finances, tombé dans la disgrâce de Mme de Maintenon, et sans retour auprès de Mme la duchesse de Bourgogne. Harcourt et lui étoient ainsi rivaux sans le savoir ; mais d’Antin avoit bien plus beau jeu par ce commerce direct et continuel avec le roi, où l’autre ne pouvoit atteindre, même par audiences rares. Quand je dis qu’ils en vouloient tous deux à la place de Chamillart, je m’explique. Ce n’étoit pas à sa charge. Le roi, accoutumé à les remplir de gens de peu pour les chasser comme des valets s’il lui en prenoit envie, et pour empêcher que leur autorité ne les portât à des fortunes trop hautes et embarrassantes, n’auroit jamais fait un seigneur secrétaire d’État. Ils ri imaginoient pas aussi sortir le roi de cette politique, et Harcourt étoit trop glorieux pour vouloir être le premier secrétaire d’État de l’ordre de la noblesse qu’il y eût jamais