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virent aller leurs desseins en fumée par toute autre conduite ; ils y sacrifièrent donc tout, et redoublèrent de jambes à répandre ces lettres et tout ce qu’ils purent inventer de plus atroce sous l’artifice le plus captieux. Ils étoient trop bien conduits pour se méprendre. Bloin et M. du Maine connoissoient bien le roi ; ils l’obsédoient ; il se plaisoit à l’être par eux ; le goût et l’habitude y était. Les cris de Mme la duchesse de Bourgogne redoublèrent à mesure que la cabale redoubla ses coups ; Mme de Maintenon l’appuya, et le roi s’en rebuta au point qu’il gronda durement plus d’une fois la princesse, et lui reprocha qu’on ne pouvoit plus tenir à son humeur et à son aigreur. Ce coup porta jusqu’en Flandre. Chamillart, régenté par Vaudemont et ses nièces, et si enivré du duc du Maine et de M. de Vendôme, dont l’intérêt le plus vif étoit d’achever la perte radicale du jeune prince, d’autant plus nécessaire à achever qu’elle étoit si publiquement commencée, Chamillart, dis-je, se laissa induire à écrire à Mgr le duc de Bourgogne [une lettre] par laquelle, oubliant ce qu’ils étoient l’un et l’autre, il lui conseilloit de bien vivre avec M. de Vendôme.

Cette lettre fit tout l’effet qu’en avoient espéré ceux qui l’avoient ménagée. Mgr le duc de Bourgogne, si brillant à Nimègue avec le maréchal de Boufflers, et à Brisach entre Tallard et Marsin, avoit été abattu dès l’ouverture de la campagne par les contrariétés et les procédés audacieux que Vendôme avoit affectés avec lui. Élevé dans la frayeur du roi, ce seroit trop peu dire la crainte, elle s’étendoit jusqu’à ceux qui avoient son affection et sa confiance au point qu’il ne pouvoit douter que Vendôme les possédoit. Sa sagesse le rendoit défiant de soi-même, et sa dévotion extrême, mais encore peu éclairée jusqu’aux discernements nécessaires, le rapetissoit et l’étrécissoit. Sensible au point où il étoit, la conduite de Vendôme à son égard et les deux propos qu’il avoit eu l’insolence de lui adresser en public, le tenoient de court par religion à proportion de la colère et de l’indignation